Bouvard et Pécuchet
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Sur une idée de Flaubert… un spectacle Deschiens.
Jérôme Deschamps s’est livré à des activités sérieuses d’administration et non des moindres lorsqu’il a pris, durant quelques années, la direction de l’Opéra comique. Macha Makeïeff endosse ces mêmes responsabilités à la tête de la Criée de Marseille et l’un et l’autre se sont fort bien adaptés à ces officielles fonctions. Mais sans doute avaient-ils besoin de s’octroyer quelques entractes moins austères et de retrouver leur esprit de jeunesse et de libertinage avec cette verve impertinente pour décrire le quotidien, cette tendresse camouflée sous la vacherie, ce brin de poétique folie qui ont fait le succès des Deschiens.
Ils ont donc eu l’idée de « deschieniser » Flaubert qui leur aurait certainement laisser quartier libre pour mettre en scène son Bouvard et Pécuchet à la seule condition d’en conserver l’esprit quitte à en malmener un peu la lettre.
Cette condition est remplie dans le spectacle qui, créé à La Rochelle, a déjà beaucoup tourné en province et s’est installé provisoirement à Paris avant de reprendre la route. Excellente création qui suit le parcours de l’ouvrage (inachevé) de Flaubert, depuis la rencontre qui « avait eu l’importance d’une aventure » dans un square parisien de ces deux modestes employés de bureau, leur volonté de quitter Paris et de s’installer à la campagne. Ce sera Chavignolles en Normandie dans une maison dont Bouvard vient d’hériter afin de se consacrer à une ambition : la connaissance encyclopédique, théorie et expérimentation. Bien évidemment l’entreprise est vouée à l’échec mais ce sont les « idées reçues » qui en prennent un coup, les petits marquis des Femmes savantes plus que le Bourgeois gentilhomme. Car nos héros sont emportés par un idéal de curiosité, une soif d’apprendre, le courage de la remise en cause, le don de l’imprécation – en la forme plus proche du râleur franchouillard que de Thomas Bernardt – intentions fort louables.
Voici donc un couple étrange Jérôme Deschamps , sa rondeur, la finesse de son comique tout en nuances et Micha Lescot à la silhouette de Valentin le désossé et au comique plus dérangeant, dans une complicité parfaite qui nous entraînent dans cette étrange odyssée en enchaînant les gags, les borborygmes, les dialogues façon cabaret, un rythme enlevé soumis à l’absurdité du langage et des situations. Un numéro d’acteurs irrésistible dans une adaptation et mise en scène de Jérôme Deschamps et des costumes kitsch et démodés signés Macha Makeïeff.
Il y a mille et une façons d’analyser le livre de Flaubert et rien n’interdit de prendre la célèbre phrase : « Dégoutés du monde, ils résolurent de ne plus voir personne, de vivre exclusivement chez eux, pour eux seuls », comme un hymne à l’amitié et à la curiosité afin de fuir la médiocrité des bien-pensants et des modes.
Revigorant est ce spectacle hors norme et hors mode, revigorante cette tendresse sur la nature humaine cachée sous la moquerie cruelle et innocente.