Camus et l’Algérie, selon Jacques Ferrandez
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Le premier Homme, la bande dessinée
Le premier Homme, livre posthume d’Albert Camus est devenu un ouvrage mythique. Jamais terminé, associé à l’accident mortel dont furent victimes un jour de janvier 1960 Albert Camus et Michel Gallimard, il a été longtemps conservé par la fille d’Albert Camus et n’a été publié qu’en 1994.
Il y a eu une adaptation cinématographique du livre, fort réussie mais passée inaperçue (de Gianni Amelio, 2010, avec Jacques Gamblin). Il y a désormais la BD, adaptation d’après Le premier Homme, que vous n’avez pu manquer car elle est présentée en tête de gondoles dans les librairies. Elle est signée Jacques Ferrandez, qui a déjà dessiné deux autres textes de Camus, L’Étranger et l’Hôte.
Alice Kaplan, dans la préface, dit toute l’ambiance de cet album aux couleurs « de l’eau et du soleil » et ou « entre les cases il y a toujours le blanc, l’ellipse, qui permet à chaque moment de voyager au-delà de ce qui est dit ».
Entre mes deux rives, le livre
Comment dessine-t-on une BD et comment relève-t-on le défi de l’adaptation d’un livre comme Le premier Homme ? C’est notamment à cette question que répond le livre signé toujours Jacques Ferrandez, sorti en même temps que la BD, qui permet au dessinateur d’expliquer l’histoire de cette BD et de tricoter sa propre histoire, une histoire entre deux rives, avec au centre la Méditerranée.
Côté BD, il interroge : comment dessiner une BD à partir d’un livre non terminé ? Comment donner des traits à Jacques Cormery, double camusien ? Quelles couleurs choisir pour respecter l’esprit et l’ambiance voulus par Camus dans le livre ? Comment incarner dans une BD l’« écriture blanche » de Camus ? Et comment le dessinateur−écrivain qu’est Jacques Ferrandez (à la tête d’une longue liste de romans, essais, nouvelles avec comme sujets l’Orient et l’Algérie) peut-il/doit-il s’oublier (ou ne pas s’oublier), en racontant un livre où les présences de Jacques Cormery et Albert Camus lui rappellent tant de choses personnelles ?
Entre mes deux rives, est ainsi un livre à double — a minima — tiroir. Réflexion pointue sur l’art d’écrire et de dessiner, surtout lorsqu’il s’agit d’adapter une œuvre littéraire, c’est aussi une belle promenade dans le temps et la géographie d’un homme qui comme Camus n’a qu’un souci, sinon un rêve ; voir se réconcilier les deux rives de part et d’autre de la Méditerranée. Une manière de revenir sur les engagements souvent incompris et caricaturés d’Albert Camus au sujet de la question algérienne.
Entre mes deux rives comporte également des dessins, des croquis de photographies. Livre vivant, familial et choral, il n’est pas qu’une remontée dans le temps. Il met en évidence la profondeur du message — toujours actuel — d’Albert Camus, un homme entre deux rives aussi, lui dont sa fille Catherine rappelle qu’ « il s’est tenu en équilibre entre ces deux mondes, l’intellectuel et le charnel ». Albert Camus, l’écrivain qui « écrit toujours d’abord avec le ventre ».