Cendrillon

Publié le 04/07/2017

Cendrillon, avec une mise en scène de Joël Pommerat.

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Il faut aller voir, si ce n’est déjà fait, la Cendrillon revue et corrigée par Joël Pommerat avec la même audace poétique que celle qui avait fait le succès de ses adaptations de Chaperon rouge et Pinocchio (elle est reprise jusqu’au 6 août). Ce talentueux surdoué et médaillé, au sens modeste de ces termes, reprend le thème qui lui est cher des relations entre les adultes et l’enfance, avec d’un côté, la sottise et la médiocrité, de l’autre, des petits jeunes gens à qui on ne la fait pas et qui vont mener les premiers par le bout du nez avec l’indispensable mélange de franchise et de sournoiserie dont ils ont le secret.

Une fois de plus, l’écrivain qui ne met en scène que ses propres pièces mêle l’intime et le spectaculaire, l’émotion et les grands rites chaotiques. Ici, peu d’émotion pure sauf à l’ouverture : la mort de la mère et dans les dernières minutes du spectacle lorsque Sandra-Cendrillon comprend enfin le message qui lui a été murmuré par la mourante. Mais quelle puissance ! Entre-temps, on est plutôt dans la tragi-comédie, menée au pas de charge, où l’on retrouve un père couard et indifférent, une belle-mère vaniteuse et criarde, ses filles pimbêches, une fée style Lady Gaga qui rate tous ses tours de magie, un prince petit, laid et emprunté, une pantoufle de vair qui a pris la forme d’un godillot verni.

Le destin de sa Sandra-Cendrillon s’est construit sur une méprise. L’orpheline a cru que sa mère lui demandait de ne cesser de penser à elle afin de lui éviter de disparaître totalement et la voici, chargée de culpabilité, avec une montre au poignet qui sonne et s’illumine toutes les cinq minutes pour lui rappeler ce serment qui l’emprisonne. Mais quelle énergie dans ce petit bout de femme obstinée, qui rappelle la Matilda de Roald Dahl, quelle force de caractère qui lui permet de prendre comme une sorte de bienfait les pires corvées dont on l’accable ! Elle a compris qu’il faut tricher avec les adultes, feindre la soumission pour préserver l’absolue insoumission à leur système.

Et l’« auteur de spectacles », comme il se définit, a, une fois de plus, réussi à transgresser avec finesse, subtilité, poésie, le conte qui a un peu vieilli , laissant toute liberté à son scénographe Éric Soyer, pour entraîner la salle dans un univers d’illusions d’optique, d’éclairages brumeux, de couleurs délavées. Quant aux comédiens, la plupart venus de la compagnie Louis Brouillard qu’il a créée, ils sont excellents, notamment Deborah Rouach une mini Cendrillon façon garçon manqué hyperactive et incandescente ainsi que la marâtre, haute en couleurs et hurlements.

Le théâtre se porte bien lorsqu’il casse la distinction habituelle entre théâtre subventionné puisant dans les œuvres du répertoire et théâtre de boulevard plus racoleur, évolution en cours à Paris. Les créations contemporaines sont plus volontiers accueillies par les grandes scènes publiques. Joël Pommerat est désormais résident aux Bouffes du Nord et artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Et certains directeurs de théâtre, comme le jeune Jean-Robert Charrier à la tête du théâtre de la Porte Saint-Martin, font entrer, aux côtés des pièces de « boulevard », les grandes œuvres du répertoire dans les théâtres privés (un Tartuffe est programmé cet automne avec Michel Bouquet).

LPA 04 Juil. 2017, n° 128c2, p.22

Référence : LPA 04 Juil. 2017, n° 128c2, p.22

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