C’est la tiare, la tiare qu’il nous faut
« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.
Paul Eudel
« Scandale ! Les conservateurs du Louvre ont payé 200 000 francs une antiquité fabriquée à Montmartre.
Pendant trois jours, la salle des bijoux antiques ne désemplit pas. Un des gardiens compta, du jeudi au samedi soir, plus de 30 000 visiteurs devant la fameuse vitrine. Elina [M. Mayence dit Elina qui avait assuré qu’il avait fabriqué la tiare.] devint célèbre. Il daigna se laisser interviewer par tous les grands journaux à qui il conta sur sa personne les détails les plus fantaisistes. Cependant, ses allégations ne rencontrèrent pas partout la même créance. Les conservateurs attaqués le traitèrent de « joyeux mystificateur », autrement dit de fumiste. À l’Institut, on le supposa atteint d’aliénation mentale. Les démentis arrivèrent de tous côtés. L’orfèvre-ciseleur Barré, qui n’était pas mort, quoi qu’en ait dit Mayence, déclara qu’il ignorait même l’existence de la tiare. Son prétendu associé Baron ne put rien dire – et pour cause –, mais sa veuve affirma qu’il n’avait jamais eu de rapports avec Elina. Enfin, le gendre de M. Spitzer fit observer, avec juste raison, que son beau-père ne pouvait avoir commandé la tiare en 1894, attendu qu’il était décédé le 23 avril 1890.
Cependant, la presse ne désarma pas. Elle était trop belle, l’occasion de ridiculiser la science officielle ! Le torrent d’insinuations malveillantes continua à couler sur nos musées nationaux, alimenté par la verve inépuisable de l’Intransigeant et des journaux d’opposition. La tiare par ci, la tiare par là ! On ne pouvait rencontrer un ami dans la rue sans qu’il se crût obligé de vous donner son opinion, ni dîner avec des archéologues sans que la tiare fût la pièce de résistance du menu.
La caricature s’en empara. Caran d’Ache, dans une histoire sans paroles, peignit le cauchemar d’un membre de l’Institut qui croit voir Saïtapharnès se coiffer de sa tiare et venir satisfaire un besoin au pied du lit même du savant. Raoul Ponchon plaisanta dans sa Gazelle rimée ce fameux joyau : « Casque si l’on veut ou bien fez,/Qui couronna de son grimoire Le chef de Saïtapharnès,/Dont l’histoire a perdu mémoire. »
Quelle bonne pâture pour les nouvelles à la main ! Les échotiers firent des mots. On parla d’hommes tiarés, de voleurs à la tiare. Les gamins, dans les rues, chantèrent sur un air connu : « C’est la tiare, la tiare, la tiare, c’est la tiare qu’il nous faut. » Ce ne furent pourtant ni les dessins, ni les chansons qui tirèrent le Conservatoire du Louvre de son impassibilité. » (À suivre)
Référence : AJU014j0