Christian Bérard, au théâtre de la vie

Publié le 07/04/2022

Palais Lumière

Christian Bérard (1902-1949) fut un artiste polyvalent, surdoué, qui mena une vie à la fois bohème et mondaine. Coqueluche du Tout-Paris, il tomba dans un relatif oubli après sa mort. La rétrospective qui se tient au Palais Lumière d’Évian nous montre l’originalité, le talent et les multiples facettes de l’artiste qui fut peintre, décorateur, costumier de théâtre, dessinateur de mode et illustrateur.

L’oubli dans lequel Christian Bérard tomba après son décès contraste singulièrement avec la reconnaissance et la notoriété dont il fut l’objet de son vivant. Son talent, il le mit au service de Roland Petit et de Jean Cocteau (pour lequel il réalisa les décors et costumes de ses pièces), de Jean-Louis Barrault et de Louis Jouvet (avec lequel il collabora pour ses mises en scène), du magazine Vogue comme du Harper’s Bazaar. Il collabora aussi avec Serge Lifar, George Balanchine et Léonide Massine. Il conseilla Christian Dior, Robert Piguet, et il fut le scénographe du Théâtre de la mode (1945). Ses succès, en matière d’illustration et de décoration, pour les Noailles et les Polignac, l’amenèrent, pour un temps, à négliger la peinture de chevalet, à laquelle il fut préparé à l’Académie Ranson sous la direction d’Édouard Vuillard et de Maurice Denis.

Diverses expositions l’associèrent au groupe « néo-humaniste », appellation proposée par le critique Waldemar-George, avec les frères Berman et Pavel Tchelitchew. Il ne tarda pas, toutefois, à prendre son indépendance. Ses réalisations purement picturales, tout particulièrement ses portraits, furent salués par la critique de l’époque. Jean Gallotti écrivait : « On ne saurait imaginer un art plus profondément humain, et mieux fait pour nous rassurer sur les destinées de la peinture ». Et Paul Fierens, dans Formes de mai 1932, disait : « L’œuvre de Christian Bérard nous instruit plus exactement que toute autre des vices et vertus, des craintes et des espérances d’une génération, d’une société, voire d’une élite ».

Christian Bérard était un artiste tourmenté, un talentueux angoissé. Souvent, il se cachait et il ne voulait pas montrer les peintures qu’il travaillait. Mais paradoxalement, il était un « homme du monde », une personne de la société artistique et de la mode parisienne. Christian Bérard savait se mettre en scène. Certains jours, il était très négligé, en clochard magnifique, le lendemain ou la semaine suivante, il se présentait habillé avec élégance dans des soirées de la haute société, dont il assurait la décoration. Il se plaisait aussi dans le rôle d’arbitre du goût, pour la mode par exemple. La vie de Christian Bérard fut théâtrale, mais assez dramatique avec ses crises d’angoisse. Angoisse et gaité, isolement et mondanité alternaient.

Les autoportraits qu’il réalisa le représentent avec un air sombre, montrant une personne inquiète, mélancolique. C’est assurément le Christian Bérard intérieur qu’il peignit, conscient de son drame. Cependant, quand il était à l’extérieur de son atelier, il s’égayait dans de cocasses improvisations avec ses amis Christian Dior, René Crevel ou Henri Sauguet, ou dans de mémorables bals costumés. À d’autres moments, il se cloîtrait dans son appartement, n’existant plus pour personne.

L’exposition du Palais Lumière nous montre ces deux faces de Christian Bérard, dans un parcours qui mena le jeune peintre auquel était promis une carrière brillante, à l’illustrateur de mode et décorateur de théâtre dont le Tout-Paris parlait. Cecil Beaton, son alter ego, disait de lui : « Bien souvent, au cours de sa vie ardente et surmenée, on a entendu Bérard annoncer qu’il allait abandonner la décoration théâtrale et renoncer à toute activité frivole pour se consacrer entièrement à sa peinture. Mais les toxines mortelles de la mode avaient fait leurs ravages et quelque offre irrésistible le renvoyait bientôt sous les feux de la rampe. Alors il se remettait à illustrer des livres, à dessiner des étoffes pour des robes, des mouchoirs, des écharpes… Tout ce travail et même le plus futile était touché par une lueur de son génie ».

Touche à tout, passionné, Christian Bérard s’intéressa à la bibliophilie. En 1926, il accéda, à la demande de René Crevel, en lui offrant son portrait comme frontispice à son roman Babylone. L’année suivante, il réalisa la couverture d’Opéra de Jean Cocteau. Jean Giraudoux, Jean Galtier-Boissière, Édouard Bourdet, Julien Green, Colette, Elsa Triolet, André Gide, Joseph Kessel, principalement, le sollicitèrent à leur tour.

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