City on fire
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Deux millions de dollars pour acheter le manuscrit non encore achevé d’un auteur inconnu, des droits cinématographiques vendus avant même la parution de l’ouvrage, voilà de quoi attiser la curiosité !
La version poche du manuscrit le plus cher de l’histoire de l’édition vient de paraître, City on fire, de l’Américain Garth Risk Hallberg.
Celui qui a d’abord voulu devenir poète a une obsession : coucher sur le papier la magie des années 1970 à New York, traduire la force et la dûreté de cette ville en mots. C’est ainsi qu’après six années passées à définir les contours de ses personnages, et un emménagement dans la ville qui ne dort jamais, Garth Risk Hallberg, également professeur, tire de son esprit une fresque monumentale s’étirant sur près de 1 200 pages. C’est avec excitation, curiosité et, il faut le dire, une pointe d’appréhension que l’on s’attaque à ce monument et l’on prend une grande inspiration au moment de faire craquer la couverture…
New York donc, dernier jour de l’année 1976. Un coup de feu retentit dans Central Park, Samantha, jeune punk tombe sous l’impact d’une balle, son sang colore la neige fraîche. À la violence de cet élément déclencheur vient en écho celle qui sonne le glas de l’histoire : le grand black-out de 1977, une panne de courant qui a plongé la ville entière dans l’obscurité pendant de longues heures, au cours de laquelle de nombreuses émeutes ont eclaté, dans un contexte social difficile.
Le pari d’Hallberg est d’embrasser non seulement une ville, mais également une époque, des mentalités en dressant des portraits croisés. On navigue ainsi dans les vies de William Hamilton Sweeney, héritier déchu de l’une des plus grandes fortunes du pays qui a quitté sa cage dorée pour vivre pleinement sa sexualité et sa vie artistique, âme perdue qui s’échappe dans le rock et l’héroïne ; son amant, Mercer Goodman, professeur noir et homosexuel dans un pays aux idées encore étriquées ; Regan, la sœur de William en proie à l’anorexie et à la dévastation d’un divorce ; Keith, son ex-mari qui a cédé aux sirènes de la chair jeune et fougueuse. On croise encore Samantha et Charlie, Richard ou Jenny, l’adolescence et le punk, la religion et la destruction, la recherche de la vérité et la désolation.
Le récit est foisonnant mais ne tombe jamais dans la caricature, pourtant l’exercice est risqué. Qui trop embrasse, mal étreint, dit le proverbe, que Garth Risk Hallberg parvient à faire mentir. Les thèmes aussi vastes que durs, sont abordés de manière douce et subtile. Car c’est l’époque du Sida, du racisme, à laquelle s’ajoute l’adolescence et ses troubles, la pudibonderie, la fidélité, amoureuse ou familiale, ou encore la violence.
Si les pages se tournent aussi facilement, si l’on suit volontiers Hallberg dans cette galerie de portraits, c’est que le verbe est toujours haut, la plume toujours délicate. On se laisse porter dans les rues mal famées, au milieu de joyeux déglingués, d’un New York merveilleusement dégénéré, la poésie de l’auteur agissant comme un phare.
Car le personnage le plus important de l’histoire est finalement cette ville qui survit à tous, qui se transforme au gré des besoins, tantôt superbe, tantôt cruelle. Garth Risk Hallberg fait brûler New York pour mieux la faire renaître de ses cendres.