Conte de Noël, l’amour des gargouilles

Publié le 30/12/2024

BGF

La gargouille, de son pinacle suspendu au-dessous des toits de la cathédrale, crache des flots d’eau perdus entre les pierres. Non loin d’elle, une chimère, celle que l’on nomme stryge, accroupie sur sa minuscule plate-forme, contemple la ville qui devrait être endormie. Des lumières, des projecteurs, des phares, des lampadaires s’entrecroisent et forment de longs fuseaux colorés. De cette agitation éclairée montent des chuintements, roulements et grondements, parfois des pétarades. La ville rugit et clignote. Qu’a-t-on fait de son mystère ? La sculpture grimaçante, ses ailes d’ange déchu, la tête entre ses mains, a cessé de pousser ses cris d’oiseaux qui effrayent même les corbeaux et rêve à des images qu’elle pensait être effacées. Elles surgissent dans son cerveau de pierre, s’entrechoquent et disparaissent aussi vite. Plus bas, sur une autre plate-forme, l’une de ses sœurs, un tigre ailé, feule, mécontente. Ces personnages, que l’on dit grotesques, protestent. Elles sentent l’opprobre régner autour d’elles. Tant pis si leur allure est jugée repoussante. Confondues avec les gargouilles, elles n’en sont pas moins des ornements incontournables des arches et des gouttières. Accrochés sur un contrefort, au-dessus du vide, ces êtres sortis de l’imagination des hommes pour effrayer les méchants et vomir les vices hors de l’église, acceptent toutes les vilenies, mais voudraient tant être aimés.

En cette nuit, les gargouilles et les chimères frissonnent. La neige lentement les revêt tandis que le bourdon s’ébranle. À quelle occasion ? Elles ont perdu leur repère depuis cette journée abominable qui a failli les briser sous la chaleur de l’incendie. Tandis que les cloches sonnent les unes après les autres, puis toutes ensemble, faisant vibrer les arcs-boutants et les murs, elles tremblent à l’idée de pouvoir de nouveau être en danger. De son balcon, penché sur le vide, le singe diabolique interpellent chimères et gargouilles : « Ne comprenez-vous pas que cette nuit est celle de Noël. Oui, Noël, la naissance de Jésus. Cette nuit est aussi celle de la Rédemption. Ne sentez-vous pas ces flocons de neige qui se déposent sur nos corps de pierre afin de nous vêtir de blanc et nous dépouiller de nos vilenies. »

Aussi saintes que les cloches, qui appellent les fidèles à célébrer cette sainte naissance, les gargouilles et les chimères, les premières, à cause de leur ancienneté, suivies par les secondes relativement jeunes, se détachent de leurs abris de pierre. Elles entreprennent une désescalade acrobatique, vers le panneau de la Charité. De là, dominant le chœur, elles espèrent obtenir la grâce qui les lavera et, peut-être, leur donnera une figure plus humaine. La horde grimaçante se presse derrière le vitrail ; chacun contemple la féérie qui se déroule sous leurs yeux. Leur cœur de pierre s’émeut des chants et des timbres des orgues. L’heure approche, l’effigie de l’Enfant Jésus porté dans les bras de l’archevêque, va être déposé dans la mangeoire de la crèche. (À suivre)

Plan