De l’Art de la paix aux Soulèvements
Jusqu’au 15 janvier 2017, deux expositions incontournables attendent les visiteurs juristes. L’Art de la paix au Petit Palais, en coordination avec le ministère des Affaires étrangères, et Soulèvements, au Jeu de Paume, utilisent la transdisciplinarité et la pluralité des représentations artistiques pour mieux expliquer les processus complexes conduisant à un état de paix ou au contraire de trouble(s), qui ne font à travers le temps et l’espace que se succéder, en mobilisant les droits publics interne et international pour mieux les justifier ou les abolir, et susciter malgré tout l’espérance.
Dans l’idée de mieux faire connaître l’art de la diplomatie, le ministère des Affaires étrangères et du développement international a conçu avec le Petit Palais une exposition permettant de mettre en valeur au bénéfice du grand public, quelques-uns des trésors de ses archives diplomatiques parmi les 27 000 traités et accords dont il est le garant. Le ministère est en effet le dépositaire de tous les engagements internationaux conclus par la France depuis le XVIIe siècle, ce qui représente des milliers de documents, dont sa direction des archives conserve les originaux1.
Aux côtés de plusieurs dizaines de traités – qui sont pour certains des objets précieux où le velours brodé le dispute à l’or ou aux enluminures sur parchemins – près de 200 œuvres exceptionnelles constituées de peintures, sculptures, lettres, affiches, mobilier ont été sélectionnées pour expliquer de manière originale le processus de construction d’un accord de paix, sans l’idéaliser, mais au contraire en soulignant qu’il s’agit d’une trajectoire complexe qui ne réussit pas toujours, qui est faite de tentatives, parfois infructueuses, qui n’est en réalité souvent qu’un état de transition.
Organisée en cinq temps thématiques – mais qui suivent une logique chronologique du Moyen Âge à nos jours –, l’exposition est d’abord consacrée à « La paix des princes, une affaire de famille », qui montre bien que l’objectif de paix est toujours consubstantiel à l’art de la guerre2, et que la recherche de l’unité – depuis le partage de l’empire de Charlemagne – se fait généralement au moyen de la force armée, la garante de la paix, comme aimait à le souligner Richelieu, dont le portrait rappelle cette réalité, bien loin de « l’idéal de paix » mis en valeur par les allégories de la deuxième salle. La permanence de certains motifs à travers les siècles pour représenter la paix est frappante, comme la déesse Pax ou Irénée, reconnaissable à son rameau d’olivier ou à la présence d’une corne d’abondance comme dans le majestueux tableau du peintre néoclassique du XIXe siècle, Blondel, sobrement intitulé « La Paix », sorti pour l’occasion des réserves du Louvre, qui fait figurer également le caducée de Mercure, symbole – plus rare – de la négociation.
La Table de Teschen ou Table de la paix, acquise en 2015 par le musée du Louvre grâce à un appel au mécénat privé3, trône au milieu de la troisième salle et constitue la meilleure preuve que la paix se prépare autant au moyen de cadeaux, cérémonies et réceptions officielles4, que de raisonnements juridiques lors des négociations. À « La paix, mode d’emploi » succèdent les « Trésors de la diplomatie » qui est sans doute la salle la plus surprenante de l’exposition, où l’on peut admirer l’incroyable lettre du roi de Siam gravée sur une mince bande constituée à 90 % d’or offerte par les ambassadeurs à Napoléon III en 1861. Exposée pour la deuxième fois seulement, elle côtoie d’autres documents étonnants, comme le volumineux Acte d’élection du futur Henri III, gigantesque parchemin lesté de plus d’une centaine de sceaux correspondant à la validation de tous les nobles polonais ayant participé à l’élection.
Enfin, le dernier temps de l’exposition, extrêmement riche – qui débute par les portraits des « penseurs de la paix » dont l’importance respective peut susciter le débat –, illustre la construction progressive d’un droit public international et européen accompagnant l’édification d’un droit des peuples, le mouvement de décolonisation, jusqu’aux grandes peurs des XXe-XXIe siècles, allant du nucléaire au climat. Tous les grands traités qui les consacrent sont exposés, de la création de la Société des Nations au traité de Lisbonne, accumulations de volumes et de pages qui semblent bien ternes après les symboles des siècles précédents et le mur d’affiches de propagande des partis politiques, célébrant de 1922 à 1960 la Fête de la paix. À l’opposé, La colombe de la paix de Picasso et la délicate Paix de Joseph Pressmane, apparaissent comme des messages d’espoir fragiles.
La Charge, 1893, Félix Vallotton. Gravure sur bois publiée dans L’Estampe originale (Album I). Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris. Donation de Adèle et Georges Besson en 1963. En dépôt au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.
Centre Pompidou / MNAM / Cliché Pierre Guenat, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie
De la fragilité de la paix à la montée de la contestation – qui peut être silencieuse et passer par les larmes ou bruyante et s’exprimer par la violence – il n’y a qu’un pas, celui de la révolte, de la rébellion, ou de la résistance, autant de soulèvements au cœur des travaux prolifiques du philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman. Il ne s’agit pas pour le commissaire de l’exposition Soulèvements au Jeu de Paume d’illustrer de manière didactique les révolutions de toutes époques et tous lieux5, il ne s’agit même pas de montrer à proprement parler les révolutions, mais de faire ressentir les Éléments (déchaînés), les Gestes (intenses), les Mots (exclamés), les Conflits (embrasés), et les Désirs (indestructibles) qui annoncent ou caractérisent les soulèvements, dont le pluriel est bien justifié par la diversité de leurs formes, leur impact sur l’histoire et la pluralité de leurs représentations.
Si les images photographiques et vidéo sont particulièrement mises en valeur, peintures, gravures, et caricatures, en dépit de leurs origines et provenances très diverses, forment un tout cohérent montrant à la fois les limites et les abus du pouvoir politique pour mettre fin aux soulèvements. Le non-respect des principes juridiques élémentaires de nécessité ou de proportionnalité apparaît de manière criante dans les représentations de la force publique réprimant des actions collectives afin de ramener le bon ordre – comme dans l’estampe La Charge (1893) de Félix Vallotton. Et quand le discours officiel est mis en regard d’une réalité contraire, comme les extraits des rapports du War Office anglais placés en légende d’estampes de Jean Veber publiées – et pour certaines censurées – dans L’Assiette au beurre en 1901, relatives aux camps dits de reconcentration6, en pleine seconde guerre des Boers en Afrique du Sud, le visiteur est tenté de retourner au Petit Palais et de venir interroger le principe central de bonne foi dans la conclusion des accords de paix…
Notes de bas de pages
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1.
En application de l’article R. 212-71 du Code du patrimoine (issu de l’annexe au décret n° 2011-574, du 24 mai 2011, relatif à la partie réglementaire du Code du patrimoine) et de l’article 11 du décret n° 2012-1511, du 28 décembre 2012, portant organisation de l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères.
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2.
V. récemment : Saulnier-Cassia E., « L’art de la guerre par Combas : une zone de non-droit », LPA 21 sept. 2016, n° 120p3, p. 21.
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3.
V. Saulnier-Cassia E., « La table de Teschen : l’allégorie d’un traité de paix », LPA 23 oct. 2015, p. 14.
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4.
V. Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix du Douanier Rousseau.
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5.
La Révolution française de 1789 et la Révolution russe de 1905 ne sont ainsi pas traitées, ce qui est d’ailleurs étonnant de la part du commissaire qui a pris pour exemple dans son ouvrage Peuples en larmes, peuples en armes, paru en 2016 aux Éditions de Minuit, l’esthétique du célèbre film d’Eisenstein, Le cuirassé Potemkine, sorti en 1925.
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6.
« … Les prisonniers boers ont été réunis en de grands enclos où depuis 18 mois ils trouvent le repos et le calme. Un treillage de fer traversé par un courant électrique est la plus saine et la plus sûre des clôtures. Elle permet aux prisonniers de jouir de la vue du dehors et d’avoir l’illusion de la liberté… », L’Assiette au beurre, 28 sept. 1901. Toute la série d’estampes de Jean Veber et de légendes des « camps de reconcentration au Transvaal ».