De l’autre côté du rêve
Le portrait de Nadia, Ferdinand Léger.
ADAGP, 2020
À Toulouse, l’exposition de la fondation Bemberg permet un moment hors du temps. Elle introduit le spectateur dans le monde insolite, onirique, souvent poétique d’artistes surréalistes. Dans les élégants salons sont rassemblés une centaine de peintures, gravures, dessins, sculptures du XXe siècle ainsi que des livres d’art provenant de la collection de la fondation des Treilles, présidée par Maryvonne de Saint-Pulgent. Cette collection éclectique, qui comprend 3 000 pièces, a été constituée par Anne Gruner Schlumberger ; elle réunit en particulier des artistes acteurs ou héritiers du surréalisme, dont la création l’a séduite.
Les œuvres présentées sur des cimaises doucement colorées introduisent dans ce monde réinventé par le surréalisme. On éprouve un sentiment mélangé d’étrangeté et d’admiration devant ces tableaux et sculptures symboles d’évasion vers un ailleurs, vers le rêve. Dès l’entrée, La mer virile de Robert Matta donne le ton avec son écriture rapide et une liberté de composition témoins de sa singularité. Il inaugure une nouvelle voie dans le surréalisme avec toujours cette relation entre peinture et inconscient et introduit des formes indécises dans le flamboiement de la palette.
Sur le palier, trois fleurs métalliques, aériennes sur leur longue tige, inventées par Takis, introduisent dans les salles où l’on retrouve le sculpteur avec un Sphinx aux volumes stylisés dans la pureté des lignes. Anne Gruner Schlumberger vouait une admiration particulière à Max Ernst et Victor Brauner. Treize peintures et deux reliefs nous entraînent dans l’univers d’Ernst. Comme de nombreux surréalistes, il affirme une puissante imagination poétique, une grande fantaisie et crée un monde d’images visionnaires, un Jardin mystérieux. Dans la même salle, des sculptures de Jean Arp témoignent d’un art né d’une forte imagination.
Les douze tableaux de Victor Brauner sont accompagnés de sculptures africaines qu’il appréciait. On remarque en particulier Là-bas III, peinture à l’huile et à la cire où apparaît son invention poétique, souvent en une gamme colorée lumineuse. Quelques œuvres de Picasso et Braque entourent ces compositions ainsi que de délicats papiers collés, tout en finesse, réalisés par Henri Laurens, avec lequel la collectionneuse avait pris des leçons de dessin. Autre duo, le peintre Josef Sima et le sculpteur François-Xavier Lalanne ; la toile Crow s’associe avec le troupeau de moutons blancs au museau noir, plus vrais que nature, réalisés par le sculpteur avec leur toison épaisse ; ici, le rêve est encore présent, comme la poésie. Quant au salon du dessin, il réunit des compositions de Laurens telle La Bouteille de Beaune, exécutée en une géométrie héritée du cubisme mais qui ne détruit pas la forme. C’est encore le Portrait de Nadia, expressif, évoqué en un simple tracé puissant par Fernand Léger. D’autres artistes sont présents : Giacometti et Dubuffet entre autres. Tous révèlent le goût très sûr d’Anne Gruner Schlumberger, qui avait fait de sa fondation un lieu de rencontres et d’échanges entre créateurs.