De l’étrange passage aux Aveux et ses conséquences juridiques

Publié le 29/06/2023

Inspiré d’un fait divers réel, Aveux est un thriller policier théâtral qui interroge sans le résoudre le mystère des crimes non élucidés et questionne notamment la place et la portée des aveux dans la procédure pénale. Écrite par Mona El Yafi et mise en scène par Ayouba Ali, la pièce sera jouée à La Factory d’Avignon, pendant toute la durée du Festival et s’annonce déjà comme l’une des pépites de la programmation du Off 2023.

Créée par la compagnie Diptyque Théâtre en novembre 2021 à La Manekine dans les Hauts-de-France, puis jouée en 2022 et 2023 dans l’Aisne et l’Oise, la pièce Aveux de Mona El Yafi, mise en scène par Ayouba Ali, s’inspire d’un fait divers contemporain décrit dans Vertiges de l’aveu, ouvrage de la journaliste Julie Brafman1, chargée de la rubrique Justice dans le quotidien Libération, qui a rassemblé dix affaires criminelles où les aveux, spontanés ou provoqués, ont joué un rôle déterminant ou au contraire démontré la limite de cette « reine des preuves » dans les enquêtes et procès judiciaires.

Mais qu’est-ce que l’aveu ? Pendant très longtemps, il n’a pas été défini par le Code civil, lequel depuis 2016 indique en son article 1383 que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques », avant de préciser qu’il peut être judiciaire ou extrajudiciaire. La recherche de la vérité, supposée être la fin ultime, s’efface derrière le moment processuel en tant que tel et ses suites : fournir une ou des preuves de culpabilité (qui n’est pas forcément en soi un brevet d’authenticité) est une démarche de responsabilité qui permet de désigner un coupable, appliquer des sanctions et clôturer une affaire, provoquant une forme d’apaisement pour toutes les parties en déclenchant, via la police et la justice, officiellement un épilogue.

Contrairement à ce que l’adage latin semble faire accroire (Confessio est regina probatio), le Code de procédure pénale considère que « comme tout élément de preuve, l’aveu est laissé à la libre appréciation des juges » (CPP, art. 428), ce qui est justifié par la fragilité intrinsèque de la parole qui peut-être mensongère, « rhétorique » ou produite sous pression2, ou par vengeance comme pour les témoignages (celui que rétractera la voisine notamment), voire sous les supplices3 ou la torture (à laquelle la commissaire fait référence en voix off comme « autoroute vers les aveux ») à d’autres époques ou aujourd’hui dans certains régimes ou sous prétexte de certaines conditions ou contextes. Si bien que l’aveu n’est pas qu’une question juridique. Comme l’indique Julie Brafman dans son introduction, l’aveu est en réalité « au carrefour de l’histoire, de la psychologie, de la religion, de la morale et du droit »4.

Mona El Yafi a choisi dans l’ouvrage de la journaliste, l’une (en l’occurrence la première) des dix affaires, celle qui dès le départ revêt dans sa matérialité la plus grande théâtralité. L’histoire de ce crime, pas complètement élucidé, n’est adaptée que pour se focaliser sur l’élément clef et déclencheur qu’est l’aveu spontané dans une affaire où l’absence de preuve devenait obsédante pour la personne chargée de l’enquête, comme dans le récent film primé La Nuit du 12 de Dominik Moll5.

Lénaïk Karvelek est couchée sur un tas de terre. Elle entend une voix (celle de son père mort) qui lui commande de « parler » ; elle passe un appel téléphonique en pleine nuit à l’enquêtrice pour lui donner rendez-vous dans le cimetière devant la tombe de son père, affirmant qu’il faut qu’elle lui parle de manière urgente. La commissaire et un officier de police judiciaire accourent et entendent ce qu’ils espéraient depuis des mois : « C’est à cause de moi que Léna est morte ». S’ensuivent le placement en garde à vue et le premier interrogatoire de l’auto-accusée, belle-fille de la victime, précédant la rédaction du procès-verbal. Lenaïk dit être allée chez la victime le soir de sa mort, tout en affirmant ne pas être l’autrice du meurtre. Elle a frappé Lena à la tête, saccagé son appartement en attendant son propre aveu de violences familiales6. Une double confession qui complexifie encore plus l’affaire non élucidée car le corps entièrement calciné, avec seulement une mule en laine intacte, n’a pas parlé. Aucune arme, aucune trace, aucune disparition d’objet sur le lieu du crime, aucune empreinte ou indice exploitables. Persuadée que les aveux sont incomplets et bien que déclarant préférer des « preuves tangibles aux aveux », la frustration de l’enquêtrice ne cesse de croître et se métamorphose en une forme de combat personnel qui semble virer à la folie.

Mona El Yafi dans son texte, ainsi qu’Ayouba Ali dans sa mise en scène utilisant notamment des flash-back et Louise Sari dans sa scénographie soignée et inventive, appuyés par la création sonore de Najib El Yafi, font progressivement basculer le récit très réaliste dans une atmosphère presque fantastique, scrutant de manière chirurgicale et dans une direction multidimensionnelle les effets de l’aveu depuis les mots initiaux jusqu’aux successifs et interminables interrogatoires. L’effet supposément rédempteur pour l’auteur qui a voulu « soulager sa conscience », celui potentiellement réparateur pour la victime ou ses proches (ici perspective théorique) et enfin collatéralement révélateur pour les personnes en charge d’élucider l’affaire. Les pensées intérieures de chacun sonorisées provoquent un effet cathartique. Le respect du suspense entretenu par le spectacle jusqu’à son troisième acte interdit d’en dévoiler davantage et en particulier le contenu de l’ultime aveu. En revanche, l’on ne peut que recommander aux futurs festivaliers, qu’ils soient ou non juristes, d’aller voir cette pièce, par ailleurs jouée par d’excellents comédiens, Cindy Girard, Zachary Lebourg et Mona El Yafi elle-même dans le rôle performatif de l’inspectrice. Et on attend avec impatience la programmation des prochains spectacles de la compagnie Diptyque Théâtre et notamment la poursuite de leur travail sur les 7 péchés capitaux.

En pratique

Aveux de Mona El Yafi (compagnie Le Diptyque Théâtre)

Vu à la Scène Europe Saint-Quentin (Aisne) en mai 2023

Festival d’Avignon : du 7 au 23 juillet 2023 à La Factory, salle Tomasi, à 14h15, relâche les 10 et 17 juillet, durée : 1h15

Notes de bas de pages

  • 1.
    J. Brafman, Vertiges de l’aveu, 2016, Stock.
  • 2.
    V. sur tous ces aspects : L. Viaut, « L’aveu peut-il être une présomption-preuve ? », LPA 8 avr. 2020, n° LPA152d3.
  • 3.
    V. la remarquable illustration du supplice des sibili dans Artemisia Gentileschi de Guillaume Doucet, dans le Off d’Avignon 2022.
  • 4.
    Dans le chapitre suivant (2. Le démon de la culpabilité) qui, comme pour chacune des dix histoires, propose une perspective analytique, Julie Brafman dresse un portrait plus psychanalytique de l’aveu prenant des exemples intelligemment orchestrés dans la littérature, la psychanalyse, la religion, la sociologie et l’étymologie.
  • 5.
    Ce film franco-belge de 2022 qui a reçu six César, dont celui du meilleur film en 2023, trace une enquête de la PJ, elle aussi inspirée de faits réels retracés dans une enquête de la romancière Pauline Guéna (18.3 : Une année à la PJ), qui n’aboutit pas faute de preuves suffisantes et dont le crime (d’une jeune femme brûlée vive de nuit près de son domicile) reste non résolu. Il dépeint une police et une justice aux moyens insuffisants, mais sans caricature, et se focalise sur les « diverses formes de violences masculines » (Mathieu Febvre-Issaly, « La Nuit du 12 de Dominik Moll : un féminicide », Revue Esprit, avr. 2023, https://lext.so/DaOyvP) conduisant au féminicide.
  • 6.
    L’on recommande également dans le Off 2023 d’Avignon, au théâtre Les 3 Soleils : Un degré au-dessus de zéro de et avec Fanny Cabon qui utilise elle aussi des histoires vraies pour aborder les violences tant conjugales que familiales.
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