De Lully à Destouches, les musiques préférées de Louis XIV
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Lully s’est fait le chantre du Grand Motet au siècle de Louis XIV. Il en développa le genre vers le motet d’apparat, adapté aux grandes cérémonies de la cour, fresque impressionnante à la louange aussi bien du créateur que du roi. Le De Profundis a été écrit en 1683, à la faveur des épreuves de recrutement du poste de sous-maître de la chapelle royale. Louis XIV fut si enthousiaste du résultat qu’il sera décidé de le jouer peu après à Saint-Denis pour les grandioses funérailles de la reine Marie-Thérèse. On y admire la belle harmonie entre les deux chœurs, comme l’interaction entre ceux-ci et les solistes. Le motet Dies Irae fut composé pour la même cérémonie des funérailles de la reine de France et complétait le De Profundis. Le Lacrymosa Dies illa en est la section la plus développée, introduite par une partie instrumentale plaintive offrant aux solistes un écrin de choix. Le Te Deum est sûrement le plus célèbre des grands motets écrits par Lully. Il connaît sa première exécution à Fontainebleau le 9 septembre 1677, à l’occasion du baptême du fils aîné du musicien, dont parrain et marraine n’étaient autres que le couple royal. Ce qu’on appelle l’hymne de Saint Ambroise restera le motet préféré de Louis XIV. De par sa rutilance comme ses vastes proportions, il n’a rien à envier au Te Deum de Charpentier, dont la postérité assurera un plus fort retentissement, publicité oblige. Ainsi du verset Te Deum laudamus introduit par une fanfare animée qui vient en contrepoint du continuo.
Leonardo García Alarcón offre une interprétation chatoyante : souplesse de la battue, sens de l’architecture, respect méticuleux des accents qui animent ces musiques a priori austères, mais qui en fait ne le sont pas. On peut même parler de joie communicative, de sens de l’événement, dans ce flux souvent inextinguible. Le Chœur de chambre de Namur offre une prodigieuse précision. García Alarcón favorise de la part de ses solistes une diction légèrement affectée. Ainsi des hautes-contre Mathias Vidal, au timbre rayonnant, et Cyril Auvity, d’une clarté solaire lui aussi, du baryton-basse d’Alain Buet et des deux sopranos Sophie Junker et Judith van Wanroij, tous habitués de cet idiome qui pour être emphatique, n’a rien de précieux quel que soit le registre, de la puissance ou de la douceur.
André Cardinal Destouches (1672-1749) est surtout connu pour ses opéras. La pastorale héroïque Issé, créée en 1697 à Trianon, est son premier ouvrage. Appréciée par Louis XIV, son succès est immédiat et ne se démentira pas. C’est que la pièce est devenue un modèle du genre. Le librettiste Antoine Houdar de La Motte s’inspire des Métamorphoses d’Ovide pour traiter une double intrigue amoureuse mêlant dieux et humains. La nymphe Issé est courtisée par Apollon, apparaissant sous les traits d’un berger, Philémon, au grand dam d’Hylas éconduit dans sa passion. L’intrigue secondaire transpose pareil échange amoureux chez deux personnages moins guindés. Car Doris, sœur d’Issé, qui subit les assauts de Pan, compagnon d’Apollon, cédera aux avances de son soupirant plus vite que sa maîtresse, empêtrée dans le dédale de ses sentiments. Ce marivaudage avant l’heure a pour théâtre un cadre champêtre. Il est assorti de courts intermèdes dansés, vifs et allègres, tous parfaitement intégrés à l’action. La musique en est séduisante, dans ce style choisi typiquement flatteur du XVIIe, héritée de Lully et qui annonce Rameau. Les airs concis et finement troussés renouvellent constamment l’intérêt. On y croise aussi des scènes évocatrices comme celle du sommeil au cours duquel l’héroïne avoue son penchant pour le beau berger Philémon. Librettiste et musicien ont achevé une synthèse parfaite entre esthétique et pittoresque, grandeur et innocence, dans la différenciation entre les deux couples amoureux. Le flux musical sait être volubile, truffé de jolies vocalises et de fines ornementations, et les couleurs orchestrales sont franches, notamment du fait d’un effectif instrumental allégé.
Pour cette première au disque, Louis-Noël Bestion de Camboulas, à la tête de son ensemble Les Surprises, offre de cette originale fable lyrique une lecture particulièrement soignée, d’une extrême délicatesse sonore et d’une spontanéité qui méritent d’être soulignées. Forte ici d’une vingtaine de musiciens, la sonorité est svelte et joliment colorée, chez les bois en particulier. Pour les solistes vocaux, on a fait appel à la fine fleur du chant baroque français du moment, qui se signale par le naturel de la diction, l’élégance dans la délivrance du texte, la véracité des accents et la justesse de l’ornementation, non sans une certaine emphase. Côté chœurs, les Chantres du CMBV, eux aussi peu nombreux, se signalent par la douceur de l’émission et un investissement qui ne faiblit pas.