Des fantaisies inouïes

Publié le 04/08/2023

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous reprenons sa publication, consacrée au faux en tout genre, en feuilleton de l’été.

« Les lames anciennes en acier pèsent, en général, deux tiers en moins que les lames modernes. Elles se déchirent par feuilles. Les nôtres se brisent à l’en­droit où se trouve une paille. Pour reconnaître une épée ou une dague, il faut la démonter, car in cauda venenum. Un amateur possé­dait une arme admirable dont l’attribution à don Juan d’Autriche n’avait jamais été contestée. Un ami lui paria un jour qu’elle était moderne. On défit la poi­gnée et l’on trouva, pour les fixer, des pointes de Paris entre la fusée et la soie ! Vous dire la joie que le confrère éprouva en tenant entre ses doigts le corpus delicti !

C’est d’ailleurs sur la soie que sont imprimés les poinçons pour les épées légères. Impossible d’en con­naître la marque sans démontage. Mais, ces empreintes si recherchées ne doivent pas jouer dans le diagnostic un plus grand rôle que la signature dans les tableaux anciens. De très belles épées françaises peuvent por­ter des poinçons de Solingen ou d’Augsbourg, sans être fausses, car nos fournisseurs achetaient leurs lames en gros en Allemagne. De plus, des armes anciennes d’une grande valeur peuvent être revêtues de faux poinçons. Pendant tout le XVIe siècle, les fa­briques de Solingen, de Nuremberg et d’Augsbourg copiaient impudemment les marques des grands fabricants de Tolède, dont les lames étaient si estimées qu’on ne pouvait les exporter de la péninsule qu’avec l’autorisation royale, très difficile à obtenir. Mais ces étonnantes épées étaient si légères et d’une telle élas­ticité de trempe qu’on arrivait à les sortir en fraude dans des boîtes rondes en bois où elles étaient dis­posées en cercle, comme des serpents enroulés.

Un tour de gobelets excessivement pratiqué, comme il l’est d’ailleurs dans toutes les branches de la curio­sité, c’est la surdécoration. Il consiste à refaire, à compléter, à retravailler des pièces anciennes dont l’authenticité est indiscutable et à leur donner, à l’aide de la gravure ou de la damasquinure, une valeur considérable. Rien n’est plus dangereux ni plus difficile à reconnaître.

Ce fut une belle danse des armures que cette vente de la rue Villejuif, où de vulgaires harnais d’hommes d’armes s’étaient transformés, par les soins d’artistes prestigieux, en équipements de princes du sang, où de simples lames, tout unies, avaient revêtu les plus glorieuses inscriptions, où des armets, sortis du bric-à-brac, arrivaient somptueusement parés de damasquinures d’une richesse et d’une fantaisie inouïes ! » (À suivre)

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