Des œuvres en faïence

Publié le 06/08/2021

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre.

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« M. Chouquet était un conservateur modèle. Cela ne l’empêcha pas d’exposer à la place d’honneur de son musée deux trompes en faïence qui ne semblent là que pour ébahir le public. Regardez dans la vitrine plate qui avoisine les Stradivarius. Au milieu de flûtes en porcelaine de Saxe, en ivoire, en faïence de Rouen, deux serpents montés sur des tiges se déroulent en replis tortueux. Ils sont superbes. L’émail peut rivaliser avec les meilleurs produits des anciens potiers. « Faïence de Nevers », dit le catalogue de G. Chouguet, qui ajoute : « Ces deux pièces rarissimes dont l’émail est admirable, méritent de fixer l’attention des amateurs de céramique ». L’érudit conservateur admirait de confiance, tout en n’étant pas très fixé sur la nature de ses trompes, car une première fois, en 1875, il les avait qualifiées de faïences italiennes.

Clapisson, dont la collection forma en 1864 le premier noyau du musée, n’était pas ennemi, à l’instar de beaucoup, d’une mise en valeur de ses trouvailles. Il lui fallait quand même des attributions et des provenances illustres. Il oubliait aisément d’indiquer les restaurations ou les défauts des pièces. Un jour, il acheta ces deux têtes de serpent en faïence du XVe siècle, probablement italienne. D’où venaient ces débris ? D’une fontaine rustique ? D’une grotte ornée de figulines ? Clapisson ne se demanda pas longtemps si le bloc serait dieu, table, ou cuvette. Il résolut d’en faire un instrument de musique et confia le travail à un restaurateur d’une habileté éprouvée, Alfred Corplet. Celui-ci se mit à l’œuvre, prit modèle sur des plats de Palissy, et réussit à composer ces corps et ces queues plus beaux que nature qui méritent de fixer l’attention des amateurs de céramique.

Sur ce point seulement, le catalogue de M. Chouguet a raison. C’est égal, quand le nouveau et très sympathique conservateur actuel publiera une nouvelle édition de la notice, il fera bien de détruire cette légende de faïenciers de Nevers, fabricants d’instruments de musique ! Peut-être aussi pourra-t-il demander leurs passeports à plusieurs pièces historiques un peu trop pompeuses, telles que les clavicordes de Grétry et de Beethoven, l’épinette du prince de Conti dorée à l’or adhésif, la lyre de Garat, la vielle de Madame Adélaïde, la harpe (numéro 292) de l’infortunée princesse de Lamballe ». (À suivre)

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