Deux des plus beaux quintettes de Mozart

Publié le 11/07/2023

Quatuor Ébène

Deux des plus beaux quintettes de Mozart

Pour leur nouveau CD, les musiciens d’Ébène reviennent à Mozart. En compagnie de l’altiste Antoine Tamestit, ils ont choisi de jouer les quintettes K 515 et K 516. Le genre du quintette à cordes, célébré par Boccherini, trouve en Mozart son vrai champion. Car ce quatuor augmenté d’une voix médiane, à savoir un second alto, autorise un équilibre quant à la plénitude sonore en même temps que des possibilités de dialogue concertant entre violon I et alto I. On a beaucoup disserté sur la paire que forment ces œuvres, écrites en 1787, à peu d’intervalle, avant Don Giovanni. Selon le celliste Raphaël Merlin, il s’agit de deux œuvres opposées, quoique complémentaires. Cette complémentarité est certaine, jusque dans la manière d’en agencer la thématique. Les opposer est plus hasardeux, car l’une et l’autre partition sont ancrées dans un même tragique angoissé qui ne se libère – et peut-être encore en apparence – que dans leur final.

Le Quintette à cordes en Ut majeur K 515 reçoit une exécution de haut vol sous les présents archets. Dès les premières mesures de l’Allegro et son rythme en batterie, on est frappé par la charge d’angoisse parcourant cette entrée en matière obsédante, qui frôle la dissonance. Le Beethoven des Quatuors Razumovsky n’est pas loin, note Merlin. Le développement, conséquent et dense, enserre le tragique jusqu’à une coda où perce quelque espérance. Le Menuetto, placé en seconde position, ne se départit pas de ce climat sombre, et le trio entonne un lied finalement tout aussi poignant, malgré sa tournure de landler plutôt gai. L’Andante, « petite symphonie concertante pour violon et alto », se pare du son solaire du violon de Pierre Colombet et du chaleureux alto d’Antoine Tamestit, se répondant ou s’unissant. Le mouvement connaît une intériorisation plus poussée encore, en une sorte de cadence qui ne dit pas son nom. Et les ultimes pages, s’enfonçant dans le silence, sont magistrales. Le final Allegro, de forme rondo, est festif, dans ce qui sonne tel un refrain, ici très allant. La présente équipe se permet d’accélérer le tempo dans un élan irrépressible de joie retrouvée. Mais çà et là perce encore le drame sous-jacent.

L’exécution du Quintette en Sol mineur K 516 est de la même eau. Une tonalité qui, selon les Massin, est celle « de l’agitation, de l’angoisse, des rythmes fiévreux et des modulations incessantes ». Comme il en est à l’Allegro où l’on perçoit même quelque révolte dans son thème plaintif, et un épanchement de douleur au long développement. Cette angoisse se fait plus vive encore au Menuetto, presque brutale à travers des accords puissants qui en interrompent le cours. Alors que le trio possède une « souplesse caressante plus meurtrie que consolatrice ». À l’Adagio ma non troppo, les Ébène & co nous bouleversent dans cette méditation solitaire que soulignent les traits de l’alto II et le traitement en sourdine des 5 voix. Le tempo se vit très lent, d’une profondeur abyssale, et les écarts de dynamique sont creusés, ponctués de silences combien poignants. Le final, débuté adagio dans des pizzicatos déchirants, semblables à une marche funèbre, chemine pourtant vers la clarté. La section Allegro marque un changement radical : une ronde joyeuse, déconcertante après tant de détresse accumulée. Mais il en va ainsi chez Mozart : la vie ne doit-elle pas reprendre le dessus ?

La présente interprétation est frappée au coin d’un classicisme repensé. Le poli instrumental trouve chez Ébène un total accomplissement, au soutien d’une large palette dynamique. La fusion avec l’alto racé de Tamestit est plus que naturelle, au point que celui-ci échange sa place de second alto pour tenir celle de Marie Chilemme, la titulaire du quatuor, dans le K 515. C’est que le dosage des voix, si essentiel, fait tout le prix d’une interprétation réussie. L’élégance du geste parachève des exécutions rejoignant aisément les grandes références du passé.

Wolfgang Amadeus Mozart : quintettes à cordes K 515 & K 516

Antoine Tamestit (alto), Quatuor Ébène

1 CD Erato

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