Deux pièces de théâtre, en janvier

Publié le 11/01/2018

Probablement les Bahamas, de Martin Crimp.

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Probablement les Bahamas

Martin Crimp, dont le théâtre « de conversation », de l’énigme et des non-dits, est souvent présenté comme proche de celui d’Harold Pinter, est de plus en plus joué sur les scènes européennes. Anne-Marie Lazarini a choisi l’une de ses premières pièces, qu’il avait d’abord écrite pour la radio dans les années 1980 puis adaptée pour la scène.

Pas d’intrigue, un presque rien sinon un dialogue entre un couple de petits bourgeois retraités conversant autour d’une tasse de thé, dans leur cottage douillet du sud de l’Angleterre. Les deux autres personnages seront bien peu diserts : l’un est leur invité, que l’on ne verra que de dos et qui les écoute sans dire un mot, l’autre est une jeune fille au pair hollandaise, étrange et agitée, mais muette jusqu’à ce qu’elle se lance, vers la fin, dans un court monologue, il est vrai important. Ambiance cosy, presque chaleureuse, comme les débuts d’un roman d’Agatha Christie. Milly, la femme, papote, évoquant le charme de leur vie confortable, leurs rêves de voyage : probablement les Bahamas, leur fils et leur belle-fille. Moins bavard compulsif, Franck, son époux, fait des allers et retours dans le jardin sécateur à la main.

Les lieux communs s’enchaînent mais peu à peu les propos lénifiants laissent passer, ici et là, d’étranges souvenirs : le chien auquel on coupe la tête, un cambriolage, la mort d’un bébé, un harcèlement peut-être suivi d’un viol. Rien de précis mais la certitude d’une situation beaucoup plus complexe et trouble que cette apparence de bonheur tranquille et celle d’une survie grâce à une vie idéalisée et inventée et grâce à ces apparences que l’on essaie de faire admettre aux autres qui, muets, reçoivent ces confidences avec indifférence.

Précise, progressant par petites touches, la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini met en valeur l’irrrésistible montée des tensions et son habile camouflage. Elle s’efface devant le texte et son étrange musique rythmée par les répétitions et respectant la conviction de l’auteur selon laquelle l’histoire ne se dit pas « sur scène » mais dans l’esprit des participants et des spectateurs, « un théâtre transgressif, drôle et dérangeant » dit-elle. Le choix de présenter les pièces du cottage à plat sans cloisons comme pour mélanger dissimulation et voyeurisme est habile. Catherine Salviat domine la représentation en épousant avec une criminelle innocence, ce « facisme domestique », l’expression dont on use pour qualifier le théâtre de Martin Crimp.

Adieu Ferdinand !

Philippe Caubère est souvent présenté comme un « monument » du théâtre français. Bien des années que ce sacré bonhomme nous surprend par une capacité monstrueuse (le terme monstre sacré lui va bien) à écrire, mettre en scène et jouer des improvisations autobiographiques à l’écriture foisonnante et ciselée d’un orfèvre. Rappelons nous sa Danse du diable créée en juillet 1981 au Festival d’Avignon, et surtout ce Roman d’un acteur, composé de onze spectacles de 3 heures où apparaît son alter ego, Ferdinand Faure, un clin d’œil au Ferdinand de Mort à crédit. Éclectique, il revendique comme parrains Louis-Ferdinand Céline et Marcel Proust, les deux véritables inventeurs de langage du XXe siècle.

Et comme il ne peut cesser d’inventer, d’écrire, de jouer, le voici revenu dans un théâtre qui l’a souvent accueilli avec deux nouvelles improvisations. Cet Adieu Ferdinand est fidèle à ses habituelles représentations de 3 heures mais ici partagées en 2. Il faut donc aller voir l’une ou l’autre soirée, ou les deux successivement, c’est-à-dire : Clémence, où il traite avec son habituelle ironie burlesque de la première trahison de sa compagne Clémence avec une autre comédienne, mais Clémence en fait autant et le couple ne dure qu’à cette condition. Encore plus rocambolesque est le récit d’un séjour au camp naturiste de Montalivet où Clémence l’a entraîné, l’un des premiers et des plus importants de France sur les côtes du Médoc où, à l’époque, Belges et Allemands sont en majorité.

Adieu Ferdinand !, de Philippe Caubère.

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Les Belges, il en est aussi question dans la seconde soirée : Le Casino de Namur, étape ultime d’un voyage en hiver entrepris avec son copain Bruno et où est prévu un arrêt pour déjeuner chez les parents d’un de leurs amis comédien en herbe, Jean-Marie. On est alors en plein délire avec ce couple haut en couleur, un père autocrate fier de sa réussite comme betteravier et une mère perverse qui fait pleuvoir des coups sur le trop délicat Jean-Marie coupable d’être attiré par le théâtre et la liberté.

Philippe Caubère ne s’accorde pas un instant de répit, jouant tous les personnages qu’il rend plus vrais que nature, jouissant de dire ce texte qu’il a composé et sur lequel il a tous les droits dont celui de le modifier chaque soir s’il le souhaite, ce qu’il fait mais modérément.

Philippe Caubère le libertaire est unique, fragile et puissant et il ne faut pas manquer de le rencontrer. Après l’Athénée Adieu Ferdinand tournera en province.