Droit, Justice et Rock’n’roll

Publié le 07/12/2021

La Manufacture de livres

Le droit est-il rock’n’roll ? Peut-être pas. Mais le rock’n’roll est, quant à lui, empreint d’affaires judiciaires. Le droit et la justice ont façonné le rock ; participant à l’écriture de mythes de notre temps.

Entre guerres intestines entre artistes, impresarios et labels, faits divers qui ont fait les unes des journaux, histoires de drogues, de sexe… Le rock’n’roll n’est pas exempt de scandales dont les prétoires ont eu à connaître.

Petits arrangements ou grands procès, ce sont ces relations quasi incestueuses que nous conte Fabrice Epstein, dans son Rock’n’roll justice : une histoire judiciaire du rock, paru aux éditions La Manufacture de livres.

Fabrice Epstein, qui s’y connait en droit, puisqu’il est avocat au Barreau de Paris depuis 2007 et associé du cabinet Saul Associés, mais également féru de musique et plus particulièrement de rock, chroniqueur pour le magazine Rock & Folk, retrace dans un style alerte et truffé de références ces histoires qui ont participé à la diabolisation du rock d’une certaine façon.

Divisé en 11 chapitres, chacun traitant d’un thème juridique, du plagiat aux successions voire aux procès imaginaires, ce livre est une mine d’informations sur le monde si peu vertueux de la musique.

L’auteur relate les relations tumultueuses entre monde du rock et celui de la justice, avec une culture impressionnante et beaucoup d’humour.

Les affaires citées sont souvent américaines, mais la Grande-Bretagne et la France ne sont pas oubliées. De Led Zeppelin à Daft Punk, en passant par les Stones ou Bob Dylan, les fans de rock s’amuseront de ce florilège d’histoires les plus abracadabrantes.

Quant aux juristes, ils reconnaîtront les fondements sur lesquels reposent certaines décisions et surtout comment le rock, par sa vision transgressive et subversive, a pu mettre à l’épreuve les institutions et marquer la société.

Illustré de 50 photographies, ce livre se revèle être une source inépuisable de petites histoires qui ont façonné notre histoire musicale de ces 60 dernières années, un livre à s’offrir ou à offrir pour tous ceux qui ont la « rock’n’roll attitude » !

Entretien avec Fabrice Epstein, à l’occasion de la sortie de son livre : Rock’n’roll justice : une histoire judiciaire du rock.

AJ : Comment est née l’idée d’écrire ce livre ?

Fabrice Epstein : J’ai commencé par écrire des chroniques pour Rock&Folk. Certaines sont reprises dans le livre. J’avais écrit un premier ouvrage sur le Rwanda, le génocide, mon expérience d’avocat. C’était un sujet lourd, et je voulais m’attaquer à la musique que j’aime, auprès de laquelle je vis depuis le plus jeune âge, le rock au sens large. Je voulais donc écrire un livre du genre, les 100 disques de Fabrice Epstein, mais un ami éditeur m’a fait une excellente remarque : tu n’es pas Philippe Manœuvre, alors il te faut un angle, par exemple les 100 disques de rock chrétien. Le sujet ne me tentait pas vraiment.

Je me suis dit, je suis avocat, j’ai accès à des décisions de justice, je connais (de loin) quelques scandales judiciaires (plagiat de My Sweet Lord, Phil Spector, frasques de Morrison…), j’ai regardé partout, cela n’avait jamais été fait, ni en France, ni aux États-Unis. J’ai commencé la rédaction de chroniques. Pour Rock&Folk, je suis un peu limité par les mots, le livre me donnait la chance d’évoquer les grands sujets de société, la transformation de la société par le rock protestataire, etc.

AJ : Quels sont les liens que vous entretenez avec le rock, est-ce une échappatoire, une passion, un hobby ?

F. E. : Les deux premiers. J’aime le rock « sérieusement ». Chaque jour, je découvre de nouvelles choses, c’est inépuisable. Échappatoire car la musique rassure, panse les blessures, rend la vie beaucoup plus douce. Passion parce que les musiciens sont des passionnés, des écorchés. Je pense à Bob Dylan qui est un assoiffé de justice. Pas étonnant qu’il soit l’auteur le plus cité par les tribunaux américains. Pas étonnant non plus qu’il prenne fait et cause pour Hattie Carrol, morte sous la pression d’un certain Zantziger. Passion parce qu’à chaque nouveau morceau de Bob Dylan, sortie d’un documentaire (sur les Beatles par exemple), je suis excité comme un enfant. Le rock est d’ailleurs pour moi une musique de l’enfance, un objet de transmission. Mon père m’a fait écouter ses vinyles. C’est presque paradoxal, car le rock est une musique vivante, et je l’ai découverte en position horizontale, car à 10 ans, la jambe cassée, immobilisé à la maison, je n’avais d’autre occupation que d’écouter des disques.

AJ : C’est donc à cause d’une jambe cassée que vous êtes tombés dedans ?

F. E. : Oui et surtout grâce à l’influence paternelle, très orientée The Doors, Bob Dylan, The Beatles. Ces disques m’ont fasciné. Je les ai écoutés en boucle. Et puis quand je n’étais pas en mesure de posséder certains disques, je les imaginais.

AJ : Que vient faire le droit dans votre histoire personnelle ?

F. E. : Il arrive par des moyens détournés, je n’ai pas d’avocat dans ma famille. J’ai fait une école de commerce et j’ai commencé les études de droit assez tardivement. J’ai ensuite suivi un cursus classique.

Mais j’élude peut-être la question. Le droit vient faire quelque chose dans mon histoire personnelle, très ancrée, celle, bien triste, de la Shoah, de la disparition, du statut de victime. Être avocat, c’est être acteur, cela permet de se séparer de ce statut de victime.

AJ : Ce livre vous a-t-il fait découvrir des histoires dont vous ignorez l’existence, si oui lesquelles ?

F. E. : Oui, j’ignorais la grande majorité des affaires. La renégociation de son contrat par Tom Petty, qui se place sous la tutelle du Chapter 11, ça c’est une histoire pour les juristes. La grâce posthume de Morrison dans les années 2000, je n’en avais jamais entendu parler. Toutes les histoires des managers, leurs magouilles joyeuses. Bob Dylan mis en examen en France pour incitation à la haine raciale ? Never heard before. Enfin, le chapitre 35 auquel je tiens tout particulièrement. Harrison contre le photographe Bébert. On en parle dans le documentaire Get Back des Beatles. Vous sentez ma fascination pour ce judiciaire rock.

AJ : Quel est pour vous l’histoire la plus drôle et celle la plus triste ?

F. E. : La plus drôle, les Sex Pistols (ou plutôt leur label et les revendeurs du disque) jugés pour indécence. Une histoire qui ne tient pas debout, mais révélatrice de l’Angleterre de la fin des années 70. La pochette du disque Never Mind the Bollocks est jugée indécente. Un procès se tient au cours duquel le sens du mot Bollocks, est expliqué par un homme de l’art. Les prévenus sont relaxés.

La plus triste, car la plus sordide, le féminicide par Phil Spector. Le producteur le plus talentueux du XXe siècle dans une sale histoire de mœurs, qui tue une femme. Il meurt en prison, plus riche producteur de l’année 2019 !

AJ : Bientôt un tome 2 ?

F. E. : Ce sont les lecteurs qui le diront. Ceci dit, il y a encore beaucoup à dire sur ces affaires rock. J’ai laissé une très grande porte ouverte en évoquant la question de l’appropriation culturelle. Je vais creuser ce sujet, car il m’interpelle. Il y a aussi un manque de chroniques liées aux femmes, j’y travaille également. Gageons que ce n’est que le début !

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