Duel au sommet
Gallimard
Connaissez-vous les Dolomites, ces Alpes italiennes ? On dit qu’on y trouve les plus belles via ferrata. C’est un environnement dur et exigeant mais qui offre des panoramas à tomber…
Tomber, c’est bien là le sujet du dernier livre de Erri De Luca, Impossible, paru aux éditions Gallimard.
Tout commence par une chute mortelle en montagne… mais s’agit-il d’un accident ou est-elle le fait d’un homme ?
C’est ce que doit découvrir un magistrat…
Pour lui l’affaire est entendue : deux hommes en montagne qui se connaissent, l’un a trahi l’autre quelques décennies plus tôt, il ne peut être que question de vengeance même 40 ans après les faits…
Mais voilà, l’homme en face de lui – l’accusé – est vieux, usé, il devrait avouer facilement ; mais au fil des confrontations, d’entretien en entretien, sa version ne flanche pas, elle est toujours la même : il a vu l’homme chuter et a simplement appelé les secours…
Un duel va se jouer dans ce que l’on imagine une petite pièce d’un quelconque tribunal italien…
Car aucun détail n’est donné par l’auteur, on ne connaît ni les noms, ni les âges des protagonistes, la région est indiquée mais cela reste vague pour qui ne connaît pas cette région montagneuse.
L’enjeu de ce face-à-face : confronter deux idéologies, celle de la justice contre celle de la fraternité. Un choix est-il possible ?
« À l’impossible nul n’est tenu », dit un proverbe populaire. Mais l’impossible, que cela signifie-t-il pour deux hommes que tout oppose : un repris de justice qui fut longtemps un révolutionnaire, et un juge, qui doit écouter, confronter les faits et tirer des conclusions à partir de ces faits et rien que ces faits… le passé ne doit pas entrer en ligne de compte.
Un juge peut-il ainsi se dire être dans l’impossibilité de juger, cela peut-il se présenter et dans quel cas ?
Tel est l’un des points de départ de ce roman, tout en tension, dépouillé de toute fioriture, seuls comptent la rencontre de ces deux hommes et les dialogues tenus lors des auditions.
Quelques détails nous serons donnés encore par les lettres que le prévenu adresse à une femme qu’il aime, mais c’est tout !
La montagne est déjà le prétexte à une première confrontation. L’accusé, dans une de ses lettres à sa tendre amie, fait cette confidence en parlant du magistrat :
« Il n’est jamais allé en montagne et il essaie de comprendre ce que je vais y faire.Je lui ai répondu qu’on y va pour rien qui sert à quelque chose. Car l’inutile est beau » (p. 28).
Puis ce sera au tour du magistrat de relancer l’accusé en lui rappelant les vers de Racine dans Phèdre :
« Ma vengeance est perdue
S’il ignore en mourant
Que c’est moi qui le tue ».
Espérant ainsi lui faire reconnaître que son acte était prémédité et surtout qu’il avait un sens…
Mais entre ces deux hommes, ce sont deux idées du monde qui se jaugent, les concepts de libertés et d’égalité, mais surtout de fraternité.
Cela donne un caractère universel à ce récit, car cela pourrait se passer n’importe où dans le monde, à n’importe quelle période.
Ici, il s’agit non pas d’un combat entre le bien et le mal, mais plutôt entre deux philosophies.
Le lecteur aura certainement du mal à avoir une opinion tranchée, tant les arguments de chacun des protagonistes sont légitimes… La partie est serrée, les arguties sont nombreuses, chacun joue avec des arguments spécieux ; l’on en oublierait presque qu’il y a eu un mort, et que la justice n’est pas forcément affaire de rhétorique…
D’un drâme va naître un dialogue entre deux hommes de convictions…
Chacun campant sur ses positions, chacun essayant de confondre l’autre, l’un se battant pour la vérité, et inversement, on assiste à ce dialogue qui ressemble à une lutte des classes qui aurait pris place dans un petit tribunal d’une province italienne.
La justice en sort-elle grandie ? Mais de quelle justice parle-t-on ; celle organisationnelle ou celle des hommes ? À chacun de juger en son âme et conscience…