En attendant Bojangles
Evelyne Desaux
C’est l’histoire du fils d’un notaire de Nantes, ayant des difficultés à trouver sa place dans la société et qui, la trentaine se profilant, après un premier manuscrit refusé par les éditeurs, en écrit un autre rapidement, lequel, accepté par un éditeur de province, connaît un succès phénoménal.
C’est l’histoire d’Olivier Bourdeaut et de la publication, en mars 2016, par les éditions Finitude à Bordeaux, d’un roman de 106 pages qu’il venait d’écrire chez ses parents en Espagne en quelques semaines et qu’il avait intitulé : En attendant Bozangles. Tiré a 10 000 exemplaires le livre dépasse les 200 000 ventes dès juin, atteint peu après les 500 000, se voit couronné par de nombreux prix, est traduit en 32 langues, monté au théâtre et dans quelques temps au cinéma par Régis Roinsard. Un style et une aisance insolente, « à la Antoine Blondin, le grand ».
C’est l’histoire d’une adaptation théâtrale particulièrement réussie, de son succès immédiat au Festival d’Avignon, de sa prolongation, pour cause de succès, au théâtre de la Pépinière aux côtés de l’excellent « Intra muros », jusqu’à la fin juillet 2018.
C’est l’histoire d’un amour fou, celle aussi du trompe-la-mort, du rejet des gens « parfumés à l’ennui de la rédemption par la fête », la fantaisie la plus incontrôlée, la folie.
Le trio fantasque est emporté par la joie de vivre de Louise, la mère, son humour, sa frénésie de fêtes et surtout de danses au son du célèbre « Mister Bojangles » chanté par Nina Simone. Elle change de prénom régulièrement pour être une femme différente chaque jour ; tout doit être extravagant, imprévisible, elle vouvoie sa famille mais « tutoie les étoiles ». Le mari Georges, un juriste et écrivain dilettante, plus surranné et maîtrisé, est sous le charme, élégant, complice, et le fils de 10 ans, que l’on a retiré de l’école, regarde émerveillé. Autre occupant du grand appartement où la fête est permanente, une grue de Numidie dénommée « mademoiselle Superfétatoire », qui glisse sur le parquet en criant. Comme animal de compagnie, cela a quand même plus d’allure qu’un caniche. Le courrier s’accumule, qu’on n’ouvre jamais pour oublier les contraintes et le temps qui passe ; chacun invente des histoires, des jeux de mots, on ment à l’endroit et à l’envers, on cultive l’excès, la démesure.
Insensiblement puis brutalement la mère excentrique perd la tête sans perdre sa fureur de vivre et la fin du récit, que l’on ne dévoilera pas, est encore festive.
Victoire Berger-Perrin signe une adaptation et une mise en scène épatantes, toute en finesse et allégresse, ayant repris l’idée de donner au père et surtout au fils le rôle de narrateur en sus de celui d’acteur. Les trois protagonistes sont excellents, qu’il s’agisse d’Anne Charrier, virevoltante, tentatrice, illuminée par un éternel sourire (elle fut nominée aux Césars pour ce rôle), de Didier Brice qui donne toute sa force au personnage du mari, maître et esclave volontaire de ce jeu de roulette russe revu par Fitzgerald, et Victor Boulenger, tout aussi à l’aise que dans « Victor ou les enfants au pouvoir » et à qui revient le mot de la fin : « Comment font les autres enfants pour vivre sans mes parents ? ».