Et la tiare resta au Louvre
« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.
Tiare de Saïtapharnès, Wikimedia Commons
« La tiare fut donc déposée au Louvre ; le public parut ignorer l’existence de cette perle de nos richesses artistiques. Mais une véritable, émotion s’empara de tout le monde savant à l’idée que le Louvre, musée de l’Europe où il entre le moins de faux, avait ouvert ses portes à la coiffure suspecte du monarque scythe. Dès le mois de mai, M. Wesselowsky, professeur de droit musulman à l’Université de Saint-Pétersbourg, dénonça le travail moderne de l’objet. Au mois d’août, M. Adolphe Furtwângler, conservateur du musée de Munich, dans Cosmopolis, indiqua les pièces copiées, et peu de temps après, M. de Stern, directeur du musée d’Odessa, démasqua les faussaires d’Otchakoff au congrès des archéologues russes, à Riga.
Mais comme cette théorie fut contredite par M. Kieseritsky, conservateur des antiquités du musée de l’Ermitage, ainsi que par MM. de Villefosse, Théodore Reinach, Michon et autres archéologues, chacun coucha sur ses positions – et la tiare resta au Louvre.
Vainement, à la rentrée des Chambres, M. Paschal Grousset se fit l’écho des savants sceptiques. Une réplique de M. Roujon, directeur des Beaux-Arts, commissaire du gouvernement, s’appuyant sur « tout ce qu’il y a de compétent et d’autorisé dans la science française », déclara la tiare « une excellente acquisition dont il fallait remercier et féliciter les musées nationaux ». Le budget fut voté sans opposition. Il ne resta du débat du 28 novembre 1896 qu’une réponse piquante de M. Gauthier de Clagny à M. Pashal Grousset, demandant si le travail était antique et authentique :
– Il le deviendra !
Le silence se fit sur les mystères du Louvre. Les honnêtes marchands d’Otschakoff en profitèrent pour envoyer l’année suivante, à Londres, un nouveau lot d’objets que le British Museum refusa net. Un grand marchand de médailles et d’antiques ne craignit pas d’en faire l’acquisition.
Sept ans, presque jour pour jour, avaient passé sur la couronne du tyranneau d’Olbia. Les polémiques, qui avaient accompagné son apparition, étaient oubliées, lorsqu’un incident inattendu vint remettre en question son authenticité et donner à l’affaire un retentissement considérable. Cette fois, les discussions dépassèrent l’aréopage des savants. La grande masse du public allait se passionner pour ou contre la tiare de Saïtapharnès ». (À suivre)
Référence : AJU014d0
