Ce que disent les notes

Fantasio ressuscité

Publié le 07/03/2017

Fantasio.

Pierre Grosbois

Il est des œuvres malchanceuses. La comédie Fantasio qu’Alfred de Musset achève en 1833, et qu’il ne destinait pas à la scène, ne sera créée qu’en 1866 à la Comédie-Française, sans grand succès. L’opéra-comique qu’Offenbach en tire sur le livret du frère de l’écrivain, Paul de Musset, pâtit lors de sa création en 1872 à l’Opéra Comique de l’hostilité générale : dans une France vaincue par son voisin, on ne pardonne pas au musicien allemand, si en vogue à Paris, de se mêler de traiter d’un sujet sis outre-Rhin. Alors que le matériel n’aura jamais été publié, il sombre dans l’incendie de la salle Favart. Perdu à jamais ? Assurément non. Le vent tourne un siècle plus tard : en 2013, Jean-Christophe Keck reconstitue la partition originale. Et l’œuvre est de nouveau présentée par l’Opéra Comique en ouverture de sa nouvelle saison… au Châtelet, les travaux Place Boieldieu n’étant pas achevés. Fantasio est une pièce douce-amère, préfigurant Les Contes d’Hoffmann. La musique est pleine de mélismes à la transparence presque chambriste, à l’aune de l’Ouverture ou du premier entracte. Elle juxtapose des numéros de pure poésie comme la « Ballade à la lune » introduisant le personnage-titre, des duos lyriques et quelques airs de bravoure, mais aussi des ensembles vifs et entraînants où perce un grotesque plus décalé qu’appuyé. La palette est toujours agréable, avec une fine écriture pour les bois et le cor. Partout transparaît la fantaisie. Celle des romantiques, de la liberté créatrice qui leur est si chère, et ce goût de cultiver le demi-ton, celui-là même qui affleure chez Musset. Un étudiant à l’imagination enflammée, mais adepte du spleen, décide de prendre la place du défunt bouffon du roi de Bavière qui se prépare à marier sa fille Elsbeth au Prince de Mantoue, par pure raison d’État. Celui-ci troque les habits de son aide de camp pour voir l’effet sur sa future. Le facétieux Fantasio dévoilera la supercherie en ôtant au bout d’une ligne la perruque qu’a revêtue l’aide de camp, compromettant l’union. Jeté en prison, il rêve de la belle princesse. « Pour moi, la folie est un art », s’exclame-t-il face à la jeune fille venue s’enquérir de son sort. Tout finira bien et Fantasio sera nommé Prince, peut-être du cœur d’Elsbeth…

Thomas Jolly signe une mise en scène fort adroite associant sens de la fête et désenchantement d’un héros somnambule, asexué puisque joué par une femme, côtoyant le sublime. On sent l’acteur derrière le régisseur, qui manie avec doigté le continuum entre parlé et chanté, pierre d’achoppement de l’opéra-comique. Comme un jeu d’acteurs serré et surtout une constante animation générée par l’usage de praticables sur lesquels s’agrippent et virevoltent personnages ou choristes. Si l’environnement est sombre, quelques traits de couleurs le réchauffent, le jaune du tricorne de bouffon, l’immense voile blanc immaculé de la future mariée, et cette foison de ballons roses, gris et blancs du finale du deuxième acte, infiltrant alentour une douce féérie. La distribution est sans faute, que domine le Fantasio de Marianne Crebassa, juste adoubée aux Victoires de la Musique : un timbre de mezzo on ne peut plus séduisant, une aisance scénique qui sonne vraie à chaque apparition, un chant d’une remarquable sincérité. À ses côtés, Marie-Eve Munger est une Elsbeth radieuse jusque dans ses coloratures et Jean-Sébastien Bou, de sa voix de stentor, un Prince de Mantoue évitant la caricature. Une poignée de jeunes chanteurs et lestes drilles les entourent chaleureusement. Comme les chœurs de l’Ensemble Aedes, rompus eux aussi aux amusantes gesticulations concoctées par Thomas Jolly. À la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France qui sait son répertoire lyrique sur le bout des doigts et sonne d’une souveraine clarté, Laurent Campellone apporte un soin de tous les instants à une partition qui n’attendait que cela.

 

LPA 07 Mar. 2017, n° 124n8, p.16

Référence : LPA 07 Mar. 2017, n° 124n8, p.16

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