Feindre l’usure

Publié le 16/07/2021

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre.

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« Pour le moment, il suffit de se défendre contre les mystifications sans nombre des industriels qui, dans les greniers de Montmartre ou sur les rives de l’Arno, cherchent à prendre la suite de Stradivarius ou d’Amati. Passons à notre doigt l’anneau de Gygès. Glissons-nous, invisibles, dans l’atelier d’un de ces fabricants de vieux neuf. Un Guarnerius de 1725 va naître. D’un carton, plein de patrons soigneusement relevés sur des originaux, l’ingénieux personnage tire les modèles de toutes les parties du violon, table, fond, éclisses, manche, jusqu’aux chevilles. Puis il les exécute soigneusement avec de vieux bois convenablement teintés. Les novices se contentent de jus de réglisse ou de brou de noix, l’enfance, de l’art. Notre homme, lui, a soumis ses fournitures à la chaleur du four, dans des boîtes métalliques bien closes. Le bois y a revêtu une superbe coloration jaune brun sans aucune des tâches que leur aurait données une teinture à l’eau additionnée d’un alcali quelconque. Un simple encollage et le bois sera prêt à prendre admirablement le vernis.

Maintenant tout est disposé pour l’assemblage. Cependant, avant de monter les pièces, il est urgent de leur donner un aspect décrépit. Un Guarnerius n’a pu traverser les âges sans dommage. Attention ! Il s’agit de remplacer par des réparations simulées la détérioration lente du temps. L’usure a donné du jeu au cheviller ? Rien de plus facile que d’agrandir les trous, de les regarnir de bois, et de les forer de nouveau. Le chevalet a fatigué la table ? II suffit d’y mettre une pièce sous le point d’appui. Au cours des siècles on a dû plusieurs fois changer le diapason ? Vite ! Un renforcement de la table, une enture au manche, et des étiquettes anciennes pour indiquer, comme jadis, la franchise de ces restaurations : « RENOV. ANNO. DOM. M.DCCLXXIV par Finth à Paris ». Voilà qui est fait ! Il ne reste plus qu’à passer sur toutes les surfaces internes une légère couche de colophane pour retenir la poussière, et à coller la marque célèbre. « Joseph GUARNERIUS FECIT – CREMONE ANNO 1725 I H S ».

C’est facile grâce à des fac-similés tirés en phototypie sur papier de l’époque, suffisamment salis trempés dans une solution faible d’acide chlorhydrique pour atténuer l’éclat de l’encre. Le violon est désormais bon à monter : c’est l’affaire d’un tour de main pour le construire ». (À suivre)

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