Florence Price, femme compositrice
Deutsche Grammophon
La compositrice américaine Florence Price (1887-1953) est la première femme a avoir vu sa Première Symphonie jouée par un orchestre de renom, le Chicago Symphony, à l’orée des années 1930. Le monde musical Outre atlantique découvrait alors combien une des leurs, de sang noir, avait à dire. « Mon cher Dr. Koussevitsky, pour commencer j’ai deux handicaps – ceux du sexe et de la race. Je suis une femme, et j’ai quelque sang nègre dans mes veines ». Ainsi s’exprime-t-elle dans une lettre adressée en 1943 au grand chef d’orchestre. L’esthétique de sa musique symphonique, puisée dans ses racines afro-américaines, et sa manière mélodique luxuriante associée au romantisme tardif se mêlent à la musique des Spirituals, aux Juba dances et aux rythmes de batteries africaines.
La Symphonie N° 1 en Mi mineur, écrite en 1932 et créée à Chicago l’année suivante, peut rappeler quelques accents de celle dite « Du Nouveau monde » de Dvořák. À l’Allegro ma non troppo, le traitement polyphonique est aussi intéressant aux cordes qu’aux vents, bois en particulier, flûtes, hautbois et bassons. Le mouvement évolue sans baisse de tension, avec même un regain d’adrénaline, jusqu’à une conclusion glorieuse. Le Largo maestoso voit un thème hymnique rehaussé de cuivres sur un sous-bassement de bois et de timbales. Répété plusieurs fois, il sera décliné dans un alliage cordes-bois de manière expansive avec des solos apportant une note chambriste et quasi « vocale ». Le dialogue entre clarinette, basson puis hautbois apporte un ton légèrement mélancolique. Juba Dance est un scherzo vif et jazzy, souplement rythmé avec goût. La Juba est une forme élaborée de « clapping & body slapping » originaire d’Afrique de l’Ouest, allant du plus vite au plus lent. Le Finale Presto mène l’œuvre à une conclusion parfaitement maîtrisée quant à l’orchestration et au rappel des diverses rythmiques rencontrées. De manière à mettre en valeur un grand orchestre symphonique dans toute sa maestria instrumentale.
La Symphonie N° 3 en Do mineur, la dernière composée, en 1940, n’est pas moins passionnante. L’introduction Andante débute par une mélodie de cors et trompettes, exorde presque méditative. L’Allegro contraste par son tonus et le traitement des masses de son grand orchestre, dont émerge un thème aux cors. « Dans la 3e symphonie, chaque mélodie semble comme si elle devait être chantée… l’écriture est presque chorale », souligne Yannick Nézet-Séguin. La thématique est de nouveau quelque peu nostalgique. La tension ne se relâche pas et compte même de saisissants effets d’élargissement sonore, comme si s’ouvraient devant nous les grands espaces américains. Des accélérations fulgurantes côtoient des clusters tout aussi puissants. L’Andante chante une mélopée à la fois heureuse et mélancolique, ample et claire. Le travail sur le thème est constamment renouvelé dans une atmosphère bien consonante. La Juba, légèrement plus développée que chez son homologue de la 1re symphonie, fait une amusante diversion avec son ton de Blues aux percussions. On est à New Orleans ! Cela swingue, là encore dans le meilleur goût. Survient un solo de trompette et de maracas avant la reprise tout aussi originale dans son instrumentation cristalline. Au finale Scherzo, on mesure la maîtrise désormais acquise par la compositrice dans le maniement d’un orchestre symphonique fourni, toujours extrêmement transparent, comme dans la différentiation des masses, le développement thématique et les grands climax.
Yannick Nézet-Seguin est le formidable avocat de cet idiome qu’il aime à faire découvrir, par la maîtrise des grands flux comme des passages chambristes et l’art du contraste, si essentiel dans ces musiques. L’Orchestre de Philadelphie éclate de vie dans tous ses pupitres. Ce CD est un festin de sonorités, la découverte d’un rare talent et l’occasion « de faire revivre des voix historiquement sous représentées » qui, comme Florence Price, « ne doivent pas sombrer dans l’obscurité », souligne le chef.
• Florence Price : Symphonie N° 1 en Mi mineur. Symphonie N° 3 en Do mineur
• The Philadelphia Orhestra, dir. Yannick Nézet-Séguin
• 1CD Deutsche Grammophon
Référence : AJU007j2