Francis Bacon en toutes lettres

Publié le 03/10/2019

Centre Pompidou

L’œuvre de Francis Bacon (1909-1992), a marqué la seconde moitié du XXe siècle. Il nous marque encore par son côté subversif, dérangeant. L’artiste représente des chairs à vif et des formes déchiquetées, qui expriment les déchirements intérieurs du peintre. Francis Bacon fut un peintre d’instinct, de pulsion, et ses thèmes reflètent les excès de sa vie. Que l’on admire ou que l’on rejette son œuvre, la peinture de Francis Bacon a une intensité qui nous atteint directement. Elle est un miroir qui montre les tourments, la violence. Personnage scandaleux, certes, Francis Bacon exprima la tragédie humaine des dernières décennies, comme Eschyle et d’autres, à leur époque, l’exprimèrent. Si certaines personnes sont mal à l’aise devant ses toiles, c’est parce qu’elles montrent crûment la monstruosité que nous pourrions avoir en nous.

Francis Bacon a été, dès l’origine, inspiré par sa passion pour les grands auteurs. Eschyle, Shakespeare, Baudelaire, Yeats, Proust ou T.S. Eliot étaient ses références littéraires. Ses mises en scène picturales pourraient avoir émergé de certains passages de ces auteurs. Quant au peintre, il inspira des écrivains comme Michel Leiris, Gilles Deleuze, Philippe Sollers, Milan Kundera ou Jonathan Little.

Le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, qui est aussi directeur adjoint du Musée national d’art moderne, a découvert l’inventaire de la bibliothèque de Francis Bacon, établi par le Trinity College de Dublin. Cet inventaire est reproduit dans le catalogue de l’exposition, et il nous indique à peu près mille ouvrages. Ces livres usés par de multiples manipulations, cornés, tâchés, permirent au peintre de dynamiser son inspiration, de construire son monde. Didier Ottinger souligne : « Une image lui vient, pas forcément corrélée à la narration qu’il est en train de lire mais liée au sentiment poétique que lui inspire le texte. Cela prend parfois des formes très elliptiques ». C’est en fait le sujet de cette exposition, qui met en relation peintures et textes.

L’œuvre qui inspira beaucoup Bacon est certainement celle d’Eschyle qu’il découvrit, dans les années 1940, lors d’une représentation à Londres d’une pièce de T. S. Eliot, Réunion de famille, une adaptation de l’Orestie dans l’Angleterre contemporaine. Avec La Naissance de la tragédie de Nietzsche, Bacon trouva le lien de son intérêt pour Eschyle et la dualité Apollon/Dionysos que symbolisent les deux dieux grecs. Il y eut aussi Au cœur des ténèbres, cette nouvelle de Joseph Conrad, qui met en scène un officier de marine britannique dans la jungle africaine, Francis Bacon y trouva le cheminement de l’homme blanc dans les ténèbres.

Puis ce fut la rencontre, en 1965, avec l’écrivain et ethnologue Michel Leiris, qui devint l’ami de Bacon et le traducteur des entretiens du peintre avec l’historien de l’art David Sylvester. Michel Leiris fut également l’auteur de ses catalogues d’exposition à Paris. Leiris décrit les œuvres de Bacon comme des « êtres d’un type particulier et non des simulacres dénués de vie propre ».

Le peintre offre donc plus qu’une représentation et donne vie à une autre réalité. Son but, dit Leiris, est de « pratiquer une peinture sans distance aucune » ! La peinture de Bacon est une peinture de l’immédiateté qui agit directement sur le spectateur. C’est une peinture tout en tension. Elle « touche le fond même du réel ».

Quant à Georges Bataille, il fut aussi une référence pour Francis Bacon, qui découvrit, vers les années 1930, la revue Documents. Dans cette revue sont parfois publiés des articles qui parlent de l’humanité comme perverse et monstrueuse, agitée dans un mouvement allant d’Eros à Thanatos, de la lumière à l’ombre, de la beauté à l’horreur.

L’exposition se développe dans six salles, avec soixante tableaux, dont douze triptyques, qui nous permettent une immersion intéressante dans la peinture de Bacon. Dans chaque espace nous pouvons écouter des extraits de textes lus par Mathieu Amalric, Carlo Brandt, Hippolyte Girardot, Denis Podalydès et Laurent Poitrenaux.

 

LPA 03 Oct. 2019, n° 148d0, p.14

Référence : LPA 03 Oct. 2019, n° 148d0, p.14

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