Georges Dorignac, la puissance du trait
Georges Dorignac, Les Joies de la campagne, v. 1914, fusain sur carton, 246 x 150 cm, collection particulière.
Gaëlle Deleflie
Méconnu du grand public mais jamais totalement oublié dans le milieu artistique, le dessinateur Georges Dorignac est en ce moment à l’honneur à La Piscine à Roubaix comme il le sera au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux du 18 mai au 17 septembre prochain.
Cette « résurrection » est due à quelques personnalités du monde de l’art, Pierre Rosenberg notamment. Avec près de 90 œuvres, le visiteur découvre un artiste singulier dont les dessins si puissants, si intenses apparaissent pour certains presque en relief, proches de la sculpture. Une sorte de fascination s’exerce devant ces compositions au noir profond si personnelles, si vraies, et l’on s’étonne de ces années d’oubli. L’exposition met en avant deux disciplines auxquelles s’est intéressé Dorignac : quelques peintures de jeunesse, de nombreux dessins ainsi que plusieurs compositions décoratives.
L’artiste naît à Bordeaux en 1879. Rapidement ses dons de dessinateur se font jour ; il s’inscrit à 13 ans à l’école municipale de sa ville puis en 1898 il part pour Paris et se présente l’année suivante au concours de l’École nationale des beaux-arts, qu’il réussit. Après deux années passées à Verneuil-sur-Seine, il s’installe en 1910 dans un atelier de la Ruche. Il côtoie là des artistes venus en majorité des pays de l’Est et dont les œuvres seront bientôt reconnues : Modigliani, Soutine et tous les autres qui constitueront la célèbre école de Paris.
Les huiles post-impressionnistes ont pour thème sa femme, ses enfants ; certaines toiles rappellent même Renoir, colorées sans excès. Peu à peu son art devient plus personnel et l’on dénote une vraie douceur dans ces scènes familiales. Il expose dans les grands salons et à la galerie Bernheim. Quelques portraits féminins au lavis et pierre noire sont remarquables.
Au fil des années, Georges Dorignac va s’imposer avec ses dessins de têtes, masques ainsi que des figures de travailleurs saisissants de présence, de vérité, réalisés au fusain ou pierre noire et lavis. Il aime les gros plans qui permettent de décrypter les visages à travers les nuances de noir, du plus charbonneux au plus léger. Œuvres sculpturales qui, à son époque, n’ont pas toujours été comprises. On devine dans ces dessins la recherche du volume, de l’expression, de la vie.
Georges Dorignac fut un homme de recherche, sans concession, authentique ; on découvre parfois dans son travail des analogies avec l’art roman. Dans les études de nus féminins accroupies ou assises, force et grâce se conjuguent. On ne trouve aucune complaisance dans cette création mais un désir de rendre la réalité d’une manière toute personnelle.
Le monde du travail ouvrier ou rural lui a inspiré des dessins d’une rare vérité. À travers eux apparaît la souffrance physique, l’effort ; gestes saisis dans l’instant nés d’une observation attentive. Là encore les personnages semblent réalisés en trois dimensions.
Autre découverte, les projets décoratifs : tapisseries et vitraux, bien éloignés des dessins. C’est une autre facette de la personnalité de ce créateur. Plusieurs études pour Les Joies de la campagne révèlent une richesse d’invention, une finesse du dessin et de la palette. On pense parfois aux tapisseries mille-fleurs du Moyen Âge. Tout est grâce et poésie dans ces compositions où l’espace semble saturé par de multiples animaux, forêts, voiliers et au centre, Les Deux Amants. La ligne du dessin est fluide et certaines de ces compositions rappellent l’Orient.
Travailleur acharné, passionné, Georges Dorignac a effectué des recherches jusqu’à la fin de sa vie ; il mérite d’être redécouvert.