Giacometti : la rétrospective sur Alberto et sa merveilleuse famille
Dans la famille Giacometti, il y a d’abord le père, le peintre Giovanni, les trois frères : Bruno, l’architecte, Diego, le designer et Alberto, le sculpteur, et enfin le cousin, Augusto également peintre.
2021 Stiftung Ernst Scheidegger-Archiv, Zurich
La Fondation Maeght dédie l’exposition de l’été 2021 à cette famille d’artistes suisses et le Grimaldi Forum de Monaco consacre à Alberto une belle rétrospective, qui fait suite à de nombreuses autres à l’international (Doha et Londres en 2017, Séoul, Québec, Bâle, New York en 2018, Paris en 2019). Dans la région PACA, ces deux expositions jumelles viennent compléter la réduite mais très riche exposition que la galerie Lympia (ancien bagne de Nice) avait consacrée à « l’œuvre ultime » d’Alberto Giacometti durant l’été 2017, c’est-à-dire ses œuvres de maturité (1960-1965), qui montrait notamment des bustes pour lesquelles le frère Diego, modèle habituel, avait posé.
Peter Knapp, le commissaire de l’exposition de la Fondation, fait découvrir successivement chaque créateur. S’il eut sans doute été plus intéressant de croiser systématiquement les œuvres pour montrer d’éventuelles influences réciproques, proximités techniques ou sujets de prédilection communs, le parti pris de réserver une salle à chaque artiste a le mérite de la clarté et fait œuvre pédagogique, contribuant ainsi à mieux faire connaître du grand public les artistes, sans les hiérarchiser, qui ne sont pour autant pas des inconnus et présents dans les plus grands musées (tel Giovanni au Musée d’Orsay, rappelé dans ces colonnes). Après Giovanni (1868-1933), dont la peinture privilégiant les couleurs intenses a été difficile à catégoriser (entre postimpressionnisme et fauvisme), Augusto (1877-1947) a distinctement été classé comme l’un des plus grands avant-gardistes suisses. Le mobilier de Diego (1902-2005), qui fut l’assistant principal d’Alberto, est sans doute ce qui suscitera le plus d’intérêt du public, la qualité de ses œuvres d’inspiration principalement végétale (et animale) en bronze ou fer battu de toute beauté avait été identifiée par la famille Maeght qui lui avait commandé une partie de ses meubles dès les années 30, plusieurs décennies avant qu’il n’acquière une certaine notoriété. Enfin, le plus jeune frère Bruno (1907-2012), représentant majeur de la modernité d’après-guerre, qui fut internationalement reconnu après avoir réalisé le Pavillon suisse pour la Biennale de Venise de 1952, est sans conteste après Alberto le plus remarquable de la famille, en ce qu’il a consacré une partie de sa vie à la mémoire et à la diffusion des œuvres de ses aînés jusqu’à sa mort à l’âge de 105 ans.
S’agissant d’Alberto (1901-1966) dont la Fondation Maeght possède des pièces majeures (notamment les deux versions de L’homme qui marche), c’est surtout à Monaco qu’il fallait se tourner cet été pour jouir à satiété de son œuvre, dans toute sa diversité. Émilie Bouvard, la commissaire de l’exposition, propose un parcours passionnant, ayant puisé principalement mais avec discernement dans la richesse de la collection de la Fondation Giacometti, sélection mise en valeur par la très pure scénographie (à dominante de blancs avec des lumières très étudiées, ainsi que le dispositif immersif tout en noirs et effets miroirs) de William Chatelain dans l’espace Ravel de 2 500 m2 du Grimaldi Forum qui convient, paradoxalement, incroyablement bien au sculpteur du « dépouillement »1.
La sélection de 230 œuvres réparties en 14 séquences permet de mieux comprendre la progression artistique du prolifique artiste suisse, extrêmement doué dès son plus jeune âge, comme en témoignent le portrait au crayon graphite de sa mère, réalisé à l’âge de 14 ans, et encore et surtout les peintures à l’huile et dessins de ses frères Bruno et Diego alors qu’il avait une vingtaine d’années. Les passages fugaces par l’abstraction puis par le surréalisme n’ont participé qu’à sa recherche toute tendue en réalité vers l’épure, et finalement les œuvres pour lesquelles Alberto Giacometti deviendra célèbre n’ont été réalisées qu’à l’approche de ses deux dernières décennies, allant aux limites de son art, faisant presque disparaître la matière, telle la Grande Figure II (1948-1949) en plâtre.
On sort absolument émerveillé de l’exposition monégasque. Le très exhaustif catalogue permet de poursuivre ce voyage même si les reproductions ne peuvent retranscrire le « réel merveilleux » dans lequel nous plonge la contemplation de la Femme cuillère (1927), de L’Objet invisible (1934-1935), du Nez (1947), du fameux L’homme qui marche (1960) ou encore de la gigantesque (bronze de plus de 270 cm de hauteur) Grande Femme (1960).
Notes de bas de pages
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1.
Catalogue de l’exposition, p. 18.
Référence : AJU001r8