Hommage croisé à Saint-Saëns

Publié le 06/02/2024

Harmonia Mundi

Cet album présente un double visage de Saint-Saëns : l’auteur de poèmes symphoniques, le musicien maniant une veine plus légère. Après plusieurs compositions confiées aux genres du concerto et de la symphonie, Camille Saint-Saëns se tourne dans les années 1870 vers celui du poème symphonique. Il en écrira quatre, ouvrant la voie du poème symphonique à la française. Il s’inspire de sujets antiques, sans pour autant appuyer sur l’aspect métaphysique comme on le trouve chez Liszt. Le Rouet d’Omphale op. 31 est emprunté à la mythologie grecque, mais met davantage l’accent sur la composante de séduction féminine. La musique qui se développe de manière répétitive connaît un effet d’élargissement, pour retomber dans le tempo initial et finir dans le silence. Phaéton op. 39 évoque la course effrénée que celui-ci fait sur le char du Soleil, son père, audace qui lui vaudra les foudres de Jupiter. L’instrumentation flamboyante est figurée par des appels de cuivres et de curieuses associations des bois. La Danse macabre op. 40 évoque une sarabande infernale : la mort jouant un air de danse à minuit sur un violon rêche. Là encore la composition fait appel à un instrumentarium singulier, violon, xylophone, harpe. Pour son dernier poème symphonique, Saint-Saëns revient à la mythologie : La jeunesse d’Hercule op. 50 s’inspire de Xénophon. Le héros se voit offrir le choix entre deux voies, le plaisir ou la vertu. Dédaignant la séduction des nymphes et autres bacchantes, Hercule préfère affronter le combat qui finalement lui procurera l’immortalité. L’œuvre illustre ces diverses phases, d’abord mystérieuse, puis connaissant une animation progressive, autant de luttes dont Hercule sortira victorieux. François-Xavier Roth livre l’élégance française et toute la rutilance orchestrale de ces pièces, grâce aux magistrales sonorités des Siècles.

Le Carnaval des animaux (1886) offre un tout autre visage du musicien. Cette « fantaisie zoologique » tranche, pour le moins, avec le sérieux des pièces précédentes. Saint-Saëns s’y livre à une sorte de bouffonnerie musicale en recourant à une formation inédite, associant deux pianos, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, harmonica de verre et xylophone. La combinaison de ces divers timbres produit des sonorités tour à tour ironiques, pour ne pas dire cocasses (« Poules et coqs », « Personnages à longues oreilles »), de vrai-faux imitatif (« Tortues », « L’Éléphant »). Où l’on croise des citations de Rameau, d’Offenbach, de la danse du « Ballet des sylphes » de La Damnation de Faust de Berlioz, de Rossini et d’airs à la mode (« J’ai du bon tabac »). Ce qui distingue cette nouvelle version est l’utilisation d’instruments d’époque, procurant à ces étonnantes vignettes une sonorité à la fois chatoyante et comme patinée. Mais aussi l’usage d’un piano double ou vis à vis, imaginé par Pleyel, ici dans un exemplaire datant de 1928, conservé au Musée de la musique de Paris. L’interprétation de Roth & friends est pur chef d’œuvre de goût, sans la moindre sollicitation du texte (« Kangourous », « Aquarium ») et de poésie (un « Cygne » à l’évolution naturelle, dans un tempo allant). Et quel esprit ! Tel ce « Final » à une allure débridée, d’une légèreté qui vous emporte.

Le portrait se conclut par une rareté, manifestation du goût pour la nouveauté d’un compositeur désormais âgé, mais adulé : L’Assassinat du duc de Guise op. 128, musique écrite pour le film muet éponyme et créée en 1908. La première musique de film jamais composée ! D’une durée d’une vingtaine de minutes, elle est constituée de six numéros. Et là encore exige une formation symphonique particulière (piano, harmonium, bois, cor et cordes). Comparée aux poèmes symphoniques, la qualité de l’orchestration place cette œuvre parmi les plus réussies du musicien. Surtout grâce à l’interprétation de Roth et des Siècles qui lui confèrent son aura. Ainsi du « Quatrième tableau », le plus développé, avec son atmosphère de mystère, comme si rôdait l’odeur du crime et planait un vent de nostalgie, jusqu’à une façon de requiem du défunt duc Henri de Lorraine.

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