Itinéraire d’un enfant du siècle
Éditions de La Martinière
Rue Léon, Paris XVIIIe : pour beaucoup de personnes, cela n’évoque pas grand-chose ; un coin de Paris tout au plus, Barbès et la Goutte d’Or, des quartiers où il ne fait pas bon traîner la nuit… ni le jour, d’ailleurs !
Pour Abad, collégien de 13 ans, c’est sa rue, son petit monde : « Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans ».
Le style est là, comme un coup poing, une langue crue, un style direct et efficace, une réussite incroyable tant on est transporté dans l’univers dur et sans concessions d’Abad, entre putes au grand cœur, caïds et islamistes, la vie du quartier est racontée par ce jeune adolescent en pleine mutation.
Venu du Liban alors qu’il n’avait pas 10 ans, il découvre une autre image de Paris, pas celle des cartes postales, un autre Paris : celui des oubliés.
Abad est scolarisé mais connaît des difficultés, pas tant d’intégration, mais juste parce qu’il ne tient pas en place : « Je te dirai juste que je suis un esquiveur : je fais croire que je sais rien, comme ça ceux qui savent savent que je sais. T’as pas compris, c’est pas grave, tu pigeras plus tard » (p. 13).
Cet adolescent un peu rebelle est surtout un jeune homme qui cherche sa place dans cet univers désespérément hostile. Il se retrouve bientôt chez une psychologue qui tente de percer l’intime d’Abad, et ça, Abad n’en veut pas…
Pourtant, il se laisse aller à quelques confidences, et même à « s’ouvrir dedans ».
On découvre son univers, les personnes qui gravitent autour de lui et de ce quartier de Paris : Odette, Gervaise, la fille d’en face, et les autres, Mama, Baba et ceux qui sont partis…
Ce roman est une pure délectation, d’un sujet qui pourrait vite tomber dans le pathos ou les clichés entre les prostituées et les dealers. Sofia Aouine en fait un roman qui va à 100 000 à l’heure. Elle dresse le portrait d’une génération désabusée, mais pas plus que l’Antoine Doinel des Quatre cents coups de François Truffaut.
La langue est bien vivante, il y a de la fraîcheur et de la fantaisie, il y a du flow dans cette écriture, un vrai sens du rythme, et l’on apprécie qu’à la fin du livre une playlist soit mentionnée, ainsi que les références des citations de films ou de livres.
Un premier roman qui nous laisse KO, mais dont on n’a qu’une envie, rencontrer ce jeune Abad et savoir ce que ce siècle a bien pu lui réserver comme avenir…