Jacques de Bascher, le dandy de l’ombre
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Après Helmut Berger, Louis Jourdan, Toscan du Plantier, les éditions Séguier — l’« éditeur de curiosités » —, continuent leur exploration biographique de personnages qui ont traversé la planète artistique.
Dandy de l’ombre est le sous-titre du livre consacré par Marie Ottavi à Jaques de Bascher que beaucoup ont découvert grâce aux films (plus particulièrement celui de Bertrand Bonello) consacrés à Yves Saint Laurent dont il fut l’amant. Voire son âme damnée selon ceux ayant intérêt à préserver l’image du styliste. Mais Jacques de Bascher de Beaumarchais ne fut pas que cela.
Marie Ottavi au terme d’un essai biographique qui se lit comme un roman donne un peu plus de lumière à l’ homme qui aimait la marge et les nuits et « a fondé sa personnalité sur un fantasme littéraire et une obsession du titre, créant des situations épiques, se galvanisant du chaos et de la démesure. Lettré, fantasque, sadique et masochiste, il s’est fait l’interprèt, tout au long de sa vie, de cette décadence bien bâtie ».
La trajectoire de Jacques de Bascher, aristo-noceur et déjanté, figure incandescente du milieu homosexuel, nous ramène au monde qui s’est clos avec les années 1980.
Marie Ottavi, avec talent, retrace non seulement le destin de ce personnage hors du commun, flanqué d’autres qui n’étaient pas mal non plus dans le genre — tels Diane de Bauveau-Craon, Loulou de La Falaise ou Xavier de Castella —, mais restitue au passage le climat général des années 1970, assurément la décennie enchantée, puis des eighties (le chapitre « Double face » dit remarquablement en quelques pages ce qu’elles furent).
C’est aussi un livre sur l’univers de la mode, la haute couture, avec ses maisons, ses mannequins, ses coteries et ses clans, sur ses mœurs particulières et sur tous ces personnages déglingués et attachants qui gravitaient dans les soirées arrosées et poudrées de coke et autres substances. Une époque sans limites dans laquelle Jacques de Bascher a pris toute sa part.
Il fut en effet au cœur de tout ce qui animait ce cercle privilégié et vénéneux. Amant de Saint Laurent et compagnon de Lagerfeld, sujet de discordes, provocateur, il paraît qu’il ne fit rien de sa vie puisqu’il ne créa rien sinon — merci à Marie Ottavi de l’avoir souligné — un clip pour la maison Fendi (désormais restaurée cette pépite tournée en 1977 avec une musique de générique signée Barry White peut être visionnée sur Youtube). Comme le souligne l’auteur, s’étant contenté de traverser la vie il n’a laissé que le souvenir de ce qu’il fût. Lire ce livre c’est comprendre pourquoi il n’a pu être oublié.
Ne pas être oublié alors qu’on n’a rien construit n’est ce pas un tour de force, sinon de génie ?
La galerie extraordinaire de portraits (Saint Laurent donc, Lagerfeld, Bergé, Kenzo et tant d’autres) et de lieux (la rue Spontini, la Main Bleue, l’appartement de la rue Saint-Sulpice, le Palace) est accompagnée de réflexions de l’auteur, journaliste par ailleurs, sur les mentalités de l’époque et leur évolution face à l’homosexualité ou au féminisme.
Livre aussi sur la décadence « cette façon sublime de choir », il pose sans le vouloir cette question aussi dérangeante qu’essentielle : ceux qui ont le courage et la liberté d’être décadents ne manquent-t-ils pas à notre monde d’aujourd’hui ?