Jacques de Bascher, Zola l’infréquentable et Camus – Casarès vous donnent rendez-vous au théâtre

Publié le 21/02/2023

Théâtre de la Contrescarpe

Moralité-amoralité : Jacques de Bascher et Zola l’infréquentable au Théâtre de la Contrescarpe

Le théâtre intimiste de la Contrescarpe s’attache à présenter des créations contemporaines dont les choix éclectiques sont généralement réussis. On peut y retrouver actuellement Proust et Camus et aussi deux personnages à la séduction inversée : ici Émile Zola et sa haute conscience politique et sociale, là Jacques de Bascher, le dandy sulfureux, pourfendeur de la moralité traditionnelle. En 1989, le sida eût raison de ce dernier alors âgé de 38 ans, prince des nuits parisiennes, surtout connu par ses liaisons avec les emblématiques Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent. Gabriel Marc a entrepris de faire revivre ce personnage, solaire autant que noir. Malade, mais encore fulgurant, il enregistre sur un magnétophone une dernière cassette où il livre ses souvenirs et ses états d’âme. Elle est destinée à celui qui fut son amant platonique et son protecteur fidèle, Karl Lagerfeld, et la pièce peut s’interpréter comme une belle histoire d’amour entre deux êtres hors du commun.

Drogue, whisky, coups de téléphone sans interlocuteur, fauve en cage, le spectacle est sous tension à l’image de la flamboyante trajectoire d’un maître des excès et des transgressions. On parcourt l’itinéraire des noctambules des années 1970 et 1980 entre le Palace, le 7 et le Bateau-Lavoir croisant au passage quelques personnalités de la mode. L’épisode Saint Laurent occupe la place passionnelle mais éphémère qui fut la sienne, les changements rapides de costumes se succèdent au rythme rapide d’un défilé, la musique, les projections cinématographiques, un numéro époustouflant de drag queen, l’excellente mise en scène de Guila Braoudé est à la mesure de cette démesure.

Auteur du texte, Gabriel Marc épouse avec subtilité les mille facettes du personnage, l’insolence maléfique, l’excès de la provocation mais surtout la détresse d’une vie fracassée, les limites d’une vie épicurienne menant à l’autodestruction, les peurs cachées par la désinvolture et la seule réussite : faire de sa vie un roman. Belle performance que ce spectacle, éligible aux Molières 2023.

Cette éligibilité est aussi accordée au Zola l’infréquentable, écrit et mis en scène par Didier Caron, dont la pièce Fausse note, fort appréciée venait tout juste de s’achever. Il y aura bien sûr l’affaire Dreyfus et le fameux « J’accuse » mais que l’on se rassure, il y a beaucoup plus. Avant d’en arriver à l’article de L’Aurore, on assistera aux rencontres régulières entre Zola qui termine, épuisé, la série des 20 Rougon Macquart – un livre chaque année – dont le succès fut immédiat et Léon Daudet, fils d’Alphonse, qui compense ses échecs littéraires par une carrière de pamphlétaire au Figaro. Teintés d’humour, provocateurs et finement ciselés, les dialogues de Didier Caron donnent aux deux personnages toute leur ambiguïté, avec un Zola moins lisse et remarquable que l’image que l’on veut retenir, cherchant en vain à entrer à l’Académie française et souvent ouvert aux compromis : il était « infréquentable » nous dit le titre de la pièce, ce qui ajoute à l’équivoque car ce qualificatif convient mieux à Léon Daudet, obsédé par l’antisémitisme et le complotisme et assumant les propos les plus odieux.

Toute une époque est revisitée et l’auteur s’est inspiré des « Souvenirs », aux anecdotes savoureuses, que Léon Daudet a publiés. Il s’inspirait des rencontres avec les grands noms de l’époque lors des réunions dominicales d’Alphonse, où se côtoyaient Flaubert – qui y avait conduit Zola – les Goncourt, Tourgueniev… La pièce est construite comme une joute oratoire ambivalente entre deux personnalités, à la fois proches dans le milieu littéraire mais aux engagements politiques opposés. Leur autorité et leurs fragilités sont mises en valeur. La rupture ne sera vraiment consommée qu’après qu’aient été prononcées la dégradation et la condamnation de Dreyfus et que Zola, pris de colère, publie son « J’accuse ». Lourdement condamné pour diffamation, il se refugie en Angleterre, ne rentrant en France qu’après la réhabilitation pour mourir 3 ans après dans des circonstances non élucidées. Le Panthéon accueillera ses cendres peu après. Bruno Paviot, dans le rôle délicat de Léon Daudet, ne noircit pas à l’excès son personnage par ailleurs odieux. Et Pierre Azéma est un Zola tout en nuances, une force dans les convictions, de grosses crises de colère et aussi la sensibilité et la fatigue dûes à son travail de titan. Il répond parfaitement à un parti pris, avoué par l’auteur de la pièce : « Modeler une image moins consensuelle de l’auteur de Germinal, en y apportant quelques nuances dans ses motivations, ses actions, voire sa sincérité ».

Jacques de Bascher, jusqu’au 27 mars 2023

Zola l’infréquentable, jusqu’au 5 mai 2023

Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville, 75005 Paris

Camus – Casarès, une géographie amoureuse au Théâtre de La Scala

Retour sur un spectacle intimiste qui s’est terminé le 29 janvier 2023 : l’adaptation par Jean-Marie Galey de la correspondance durant 12 ans entre Albert Camus et Maria Casarès, publiée en 2017. Il n’était pas facile de faire un choix parmi les 1 300 pages, mais la difficulté est ici surmontée. La vie quotidienne des deux amants est rappelée, les nombreux voyages, le milieu littéraire, les engagements politique, l’Algérie pour lui, le cinéma et le théâtre pour elle, Francine, la femme d’Albert, le Nobel… à l’origine de tensions entre eux. Camus avoue ses fragilités, ses doutes, son mal de vivre, la jeune Maria, tout feu, tout flamme lui donne sa fantaisie et son énergie : construire, créer, malgré le besoin de détruire. La complicité est totale, affinités, amour parfois douloureux à cause de la clandestinité et de la difficulté d’être ensemble, deux êtres d’exception, la qualité des lettres en témoigne.

Jean-Marie Galey est un Camus qui échappe à la description trop glorifiée et lisse dans laquelle on l’enferme souvent et met en valeur le côté écorché vif. Teresa Ovidio joue sur le régistre de la passion incandescente qui ne quittait guère la comédienne hors du commun au théâtre et dans la vie.

Camus – Casarès, une géographie amoureuse

Théâtre de La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris

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