Jacques-Émile Blanche, un témoin de la Belle Époque

Publié le 08/07/2016

Jacques-Émile Blanche, Étude pour le portrait en pied de Jean Cocteau, 1912, h/t, 200,5 x 110,5 cm.

Musées de la Ville de Rouen / Photographie C. Lancien / C. Loisel

« Je ne suis qu’un portraitiste qui raconte ce qu’il voit (…) mes articles, mes études ne sont, à la façon de mes portraits peints, que créations, les paragraphes ou les pages d’une petite histoire de mon temps ». Jacques-Émile Blanche, qui fut un portraitiste reconnu, se révèle modeste dans ces quelques lignes. À travers des visages célèbres, ce peintre fait revivre la Belle Époque riche de créations. Accueilli à Deauville dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste, l’artiste est ici chez lui comme il l’était à Paris. Il a en effet apprécié cette partie de la Normandie qui commençait à attirer un public aisé. Il a aimé cette région au point d’acquérir une propriété à Offranville, le manoir du Tôt, où il a reçu de nombreux amis.

Né en 1871, fils du célèbre aliéniste Émile Blanche qui a soigné d’illustres malades comme les plus humbles, Jacques-Émile a vécu dans un milieu cultivé ; ses parents recevaient écrivains, musiciens, artistes : Jean Cocteau, Igor Stravinsky, Anna de Noailles, André Gide, Marcel Proust – dont il a réalisé l’unique portrait connu – et d’autres encore tout aussi prestigieux. Au cours d’un premier voyage à Londres en 1882 en compagnie d’Henri Gervex, Paul-César Helleu et Auguste Rodin, il fait la connaissance de Walter Sickert et de John Singer Sargent, auteur d’un portrait de Blanche exécuté en 1886 ; en longues touches délicates, il campe un jeune homme romantique qui ouvre l’exposition.

Parmi les 25 portraits et études, on trouve un hommage à ses parents : son père sévère, tout de noir vêtu, dans le visage duquel transparaît cependant la bonté ; on pense à Édouard Manet pour l’exécution, Blanche a visité l’atelier du maître à 14 ans et a été fort impressionné. Il peint aussi sa mère assise dans un jardin près d’un rosier, note lumineuse comme le visage et l’ombrelle ; on perçoit l’amour qui unit mère et fils.

Les portraits d’enfants portent l’influence de Thomas Gainsborough et de Joshua Reynolds dans la subtilité de la lumière, la sensibilité de la touche visibles : Portrait du jeune fils du peintre Helleu ou Les Enfants Mallet.

Au fil des cimaises, l’attention se porte aussi sur les études, témoignage du travail préparatoire pour la peinture ; celui d’Henri Bergson reflète la puissance de pensée du philosophe tandis que Jean Cocteau est évoqué en dandy élégant. En une palette blonde, l’esquisse d’Henri Bernstein s’avère d’une grande sobriété. Le peintre a représenté l’esprit français avec Anna de Noailles, alors au faîte de sa gloire littéraire, et qu’il ne flatte pas. Magnifique, le portrait d’André Gide peint en noirs nuancés et camaïeux de gris, et de cette ombre que réveillent les tranches blanches d’un livre et du col de chemise émane le regard direct, intelligent. C’est encore la virtuosité du peintre dans la représentation de l’actrice Gilda Darthy, si vivante, sûre de sa beauté. Quant au « Groupe des six » musiciens, il rappelle la passion de l’artiste pour la musique.

N’ayant nul besoin de vendre ses toiles pour vivre, Jacques-Émile Blanche a eu la liberté de choisir ses modèles. Avec cette galerie de portraits, c’est « Le Temps retrouvé », une époque de bouillonnement culturel dont il laisse un souvenir vivant.

LPA 08 Juil. 2016, n° 118r5, p.21

Référence : LPA 08 Juil. 2016, n° 118r5, p.21

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