« Je me souviens comment tout a commencé »

Publié le 09/01/2018

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Il y a des récits qui comptent dans une vie, et des histoires terribles qui méritent d’être racontées… La force d’un écrivain, d’un bon écrivain, d’un grand écrivain, est d’en prélever la substantifique mœlle pour dépasser l’histoire et nous raconter un destin.

Le destin de Gabriel, 10 ans, en 1992, qui vit au Burundi (un petit pays qu’il faut bien l’avouer nous situons mal sur la carte de l’Afrique), est cruel, mais encore paisible en cette Saint Nicolas, à Bukavu, au Zaïre.

Gabriel est Français, par son père, et Rwandais par sa mère. Il est métis, Tutsi et Français, mais ça il ne le sait pas encore… Gabriel, ce qu’il aime, c’est marcher pieds nus dans l’impasse de son quartier privilégié, regarder pousser les mangues dans les jardins d’à côté pour les dérober une fois bien mûres… L’enjeu est le chapardage et non pas le maigre butin récolté…

On est idiot à 10 ans, on traîne avec les copains dans l’impasse, on aime se raconter des histoires qui font peur, regarder des films sans intérêts et refaire le monde, un monde qui bouge et qui va bientôt nous avaler comme aurait pu le faire ce crocodile au fond du jardin.

Cette histoire est une histoire de haine et d’amour pour la vie, Gaël Faye se souvient de son enfance, de comment tout à commencer, comment il est devenu ce qu’il est aujourd’hui, un exilé de son enfance. C’est une ode à l’enfance, ce paradis perdu où les chansons douces ont laissé la place au bruit des machettes et des tirs dans la nuit.

L’histoire est cruelle mais réelle, les massacres, les haines qui ressurgissent alors qu’on était presque frères… C’est toute cette ambiance que nous fait revivre (ou plutôt vivre) Gaël Faye dans ce premier livre qui nous prend aux tripes mais que l’on ne peut plus lâcher tellement le style est pur, simple, mais touche au cœur ; il y a aussi de l’espoir, une joie de vivre qui se dégage de ces pages. On passe du rire aux larmes. De l’espoir à la désolation.

On sent le soleil et la chaleur sur la peau, on se baigne dans la piscine du lycée, on fait les fous… sans savoir que les vrais fous sont bien là, sortis, en embuscade…

Car le récit de cette haine est insensé, les premières pages du livre — où le père de Gabriel explique à celui-ci et à sa petite sœur de 7 ans, Ana, les différentes ethnies qui peuplent le Burundi —, sont absurdes, mais elles conduiront à un nettoyage ethnique méthodiques.

Il faut lire ce livre qui a reçu le prix Goncourt des lycéens, que l’on soit jeune ou vieux, que l’on ait connu les affres de la guerre ou de l’exode, que l’on soit réfugié ou non, car c’est toute l’absurdité d’un monde, de croyances, qui est battu en brèche. Comment un enfant de 10 ans peut survivre à ces épreuves… Comment l’espoir vit en chacun de nous ; comment ce qui est beau peut renaître et comment la vie qui nous joue des sales tours peut nous donner autant qu’elle nous a pris ?

L’exil du pays n’est rien face à l’exil de son enfance, c’est cette naïveté, cette insouciance qui est perdue à jamais, pourtant il faut continuer à vivre pour se souvenir de ceux qui ne sont plus là.

L’espoir réside dans ces pays où l’on peut vivre en paix, peu importe son ethnie, son origine, ces pays où les bibliothèques sont à disposition et où « les bruits de la guerre et la fureur du monde nous parviennent de loin ». L’essentiel est de ne pas oublier mais de se souvenir des belles choses…

LPA 09 Jan. 2018, n° 132v5, p.16

Référence : LPA 09 Jan. 2018, n° 132v5, p.16

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