Jeux du cirque
Room, théâtre de la Ville-Châtelet
Richard Haughton
Room de James Thiérrée au théâtre de la Ville-Châtelet
La venue régulière au Théâtre de la ville de James Thiérée et de sa compagnie du Hanneton est toujours un petit événement où se pressent ses nombreux fidèles. Il nous revient cette année avec un nouveau spectacle, Room, où, tout en usant des mille facéties qui lui sont coutumières, il a cherché une fois de plus à se renouveler. Revendiquant un « chaos assumé », il ne cherche plus ni à construire le moindre canevas, ni à suivre un fil conducteur. On comprend seulement que le désordre s’organise autour d’un personnage principal, qu’il incarne avec une virtuosité décuplée, se présentant à la fois comme un architecte occupé à tracer des plans qu’il déchire aussitôt et comme un directeur de troupe et chef d’orchestre que ses inventions constantes et son manque d’autorité conduisent à des divagations foisonnantes.
Les fidèles n’y retrouvent plus leurs repères, procédé qui a pu susciter quelques critiques. A contrario, on peut se laisser aller à la jubilation devant une performance d’une totale singularité et liberté. Liberté dans le temps, puisqu’il n’y a ni commencement ni fin, et surtout liberté dans l’espace, car cette chambre n’a d’autres murs que de grands panneaux mobiles sur roulettes dans lesquels s’ouvrent des portes, et qui tout au long du spectacle ne cessent de tourner dans tous les sens, côté pile et côté face, comme le font aussi les autres accessoires, le bureau, le canapé ou les scènes d’orchestre. Au sein de ce grand chambardement dans lequel s’agitent les personnages, on trouve une douzaine d’acteurs, mimes, acrobates, danseurs et musiciens.
Car pour la première fois, James Thiérée s’est entouré de musiciens-acteurs. Ce touche-à-tout a en effet composé une musique alerte et des chansons plutôt romantiques qu’il interprète, brèves pauses dans la frénésie de l’ensemble. Les incursions du langage parlé resteront rares ; on ne trouve que quelques phrases bégayées qui tournent court et caressent l’absurde : « ça n’a pas de sens », « c’est quoi la dramaturgie ? », « ça raconte quoi ? ». Pas question de chercher des explications. Le langage ici est celui des corps.
Spectacle total, rythme effréné, création en instantané, fantasmagories, performance technique, on se laisse une fois de plus emporter par un talent exceptionnel qui parvient ici à faire du désordre et du chaos, d’habitude terrifiants, une festive œuvre d’art.
Circus baobab au théâtre de la Scala
C’est encore une histoire de cirque, et une jolie histoire. Elle commence il y a 25 ans à Conakry, en Guinée, lorsque le cinéaste français, Laurent Chevallier, et le directeur national de la Culture, Baïlo Teliwel, entreprennent de tourner un film sur une troupe de cirque itinérante en Guinée, afin de promouvoir le patrimoine national, comme l’avaient fait, 30 ans auparavant, les Ballets africains de Guinée. La rencontre entre les arts traditionnels du pays et les techniques du cirque occidental sera confiée au subversif Pierrot Bidon, qui a renouvelé le cirque contemporain français avec sa compagnie Archaos. Fasciné par les acrobaties au sol sur la plage de jeunes Guinéens déscolarisés, utilisant pour seuls accessoires des pneus de voiture, il les prend en charge et se promet de « faire voler les acrobates ».
Il y parvient et une troupe d’une trentaine de surdoués fait des tournées à succès, d’abord en Guinée, avec sur une semi remoque un grand baobab en teck et métal, puis à l’étranger et, en 2001, sort le film de Laurent Chevallier. En 2009, l’aventure prend fin et la famille se disperse, mais en 2021, Kerfalla Balaka Camara ressuscite ce cirque, où il a commencé à l’âge de 14 ans, fonde une nouvelle compagnie et créé ce Yé que l’on peut voir à la Scala.
L’eau, Yé en langue Soussou, en est le thème, symbolique d’une Guinée « château d’eau de l’Afrique », désormais en manque et polluée par le plastique. Dans cette pièce, des bouteilles d’eau écrasées jonchent la scène, tandis qu’une seule bouteille emplie d’un peu d’eau reste par miracle debout. Une heure durant, les acrobates volants, onze garçons et deux filles, enchaînent des pyramides humaines aux architectures compliquées, qui s’effondrent en sauts, cabrioles, et roulades. Le rythme est frénétique, les sauts et voltiges périlleux, les contorsions et entremêlements apparemment inextricables. Pas de pause.
Ce jeu avec des corps élastiques, devenus objets, est parfaitement maîtrisé. Ces anciens enfants de la rue, finalistes en décembre dernier de l’émission « La France a un incroyable talent », dont le cirque est leur rêve devenu réalité, qui fait leur fierté, expliquent vouloir recueillir des fonds afin de créer une école du cirque à Conakry pour les petits frères restés là-bas.
Référence : AJU009e6
