Joyaux du répertoire de haute-contre
Le répertoire de l’opéra français du XVIIIe siècle a flatté un type particulier de voix aiguë, le haute-contre, une tessiture de ténor léger aussi à l’aise dans les registres élégiaques et de tendresse que dans des rôles de héros conquérants. Distinct du contre-ténor, c’est une voix puissante et timbrée qui use essentiellement du registre de poitrine, tout en étant capable d’envolées dans l’aigu, mais plus dans la force que dans le falsetto. Au service du texte, ses atouts sont l’intelligibilité de la prononciation, la bonne articulation jusque dans le mode tendu, ce qui n’est pas sans complexité dès lors qu’il s’agit de concilier beauté du chant et déclamation, au risque de forcer la voix dans les assauts de puissance. Défendu par de célèbres représentants, comme Pierre Jélyotte et Joseph Legros, le contre-ténor perdurera du dernier quart du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution.
Infatigable défricheur, Cyrille Dubois se propose de mettre en valeur toutes les facettes de cette voix, à travers les divers emplois qui lui furent confiés à l’opéra. Conçu avec le CMBV, le programme annonce une tonalité brillante et enlevée, à l’aune de son titre, emprunté à un chœur extrait de la tragédie lyrique Les Boréades de Rameau. Autrement dit « une invitation à profiter du temps présent », souligne le chanteur. Rameau y occupe bien sûr une place notable avec des extraits des Fêtes de Polymnie, de La Guirlande ou de Platée, et dans ce dernier cas, un extrait du divertissement de l’acte III réunissant Thespis et le chœur, hymne à Bacchus, précédé d’une trépidante pantomime. Mais l’essentiel est ailleurs. Cyrille Dubois redonne leurs lettres de noblesse à bien des compositeurs restés dans l’ombre. On connaît mieux, ces temps, Cassanéa de Mondonville, notamment à travers son opéra Titon et l’Aurore, redécouvert il y a peu à l’Opéra-Comique. Il chante un air dévolu au personnage titre, torture tragique de l’amant déchiré par la perte de l’aimée. D’Antoine Dauvergne, ce sont plusieurs extraits du drame Les Amours de Tempé, à travers les deux personnages de Bacchus et de Daphnis. Au chapitre des raretés et quasi inédits au disque, on découvre des pages étonnamment contrastées mettant en valeur la voix de haute-contre. Ainsi de François-Lupien Grenet et son Temple de l’Harmonie, dont une scène bucolique associant le personnage d’Hylas et le chœur. Comme des pages de Pierre-Montan Berton, de Bernard de Bury ou encore de Jean-Baptiste Philibert Cardonne. Un chœur extrait du Phaétuse de Pierre Iso fournit un bel exemple de musique figurative de catastrophe. Quelques morceaux instrumentaux agrémentent le déroulé du programme, dont des extraits de Castor et Pollux et de Zaïs de Rameau, ou empruntés à Pancras Royer, dont un « Air pour les Turcs en rondeau » joliment dansant.
L’éclectisme de Cyrille Dubois ne cesse d’étonner. Il fait sien ce répertoire avec gourmandise. L’élégance de la diction, avec cette légère affectation dans la respiration en commencement de phrase, nul doute un procédé caractéristique de l’époque du XVIIIe pour amorcer le chant, rejoint l’art d’exprimer avec passion les divers états d’âme des personnages, ces impénitents amoureux, princes, guerriers ou bergers. La fluidité de la ligne de chant, la douceur des inflexions sont un sujet d’émerveillement. Cette indéniable souplesse, acquise dans d’autres répertoires, comme celui de l’opéra-comique français, lui permet d’affronter la vaillance du registre aigu, là où il faut éviter de forcer la voix. Mais le ténor sait jusqu’où aller trop loin dans l’expression de ces passages soutenus. Il a en György Vashegyi le meilleur des soutiens. Car le chef hongrois connaît comme peu les arcanes de notre répertoire baroque. Comme l’ont montré ses diverses intégrales de tragédies lyriques de Rameau. L’authenticité de l’approche n’a d’égale que l’acuité quant au sens du rythme et à la palette de couleurs. On pense au traitement des parties de basson ou de flûte. Que son Orfeo Orchestra restitue à la perfection.
Référence : AJU010m4