La beauté selon Philippe Sollers
Philippe Sollers et les femmes, c’est l’histoire d’une passion fixe qui continue pour notre plus grand bonheur de lecteur.
L’École du Mystère, en 2015, mettait en scène Fanny, une femme comme un mystère, « partenaire d’une liaison expérimentale », Fanny, « un condensé de rencontres », une femme abstraite.
Avec Beauté, son dernier roman, c’est Lisa qui dévore et consume le narrateur. Cette Lisa est ici bien concrète, elle est musicienne, manière pour Philippe Sollers de digresser sur ses autres passions (Mozart évidemment).
Dans l’air du temps littéraire, c’est l’histoire, mais pas que, d’un coup de foudre version Athènes et Zeus (« l’amoureux épatant » !) que nous conte l’écrivain-narrateur dont à chaque nouveau livre on s’entend dire que c’est le meilleur. Cette Beauté est en effet à couper le souffle.
Comme à son habitude, Philippe Sollers nous prend, nous perd, nous rattrape à travers ses promenades littéraires (Hölderlin a encore la part belle, on s’amuse à reconnaître au passage un écrivain déprimé « sorte de Houellebecq mais en plus chic »), musicales (Webern et ses Variations musicales, Gould, Bach), philosophiques (le terrorisme, le Coran, l’actualité, le direct, la Révolution inspirent ses réflexions sur plusieurs chapitres). Le tout évidemment dans le style Sollers, cette forme en courts chapitres vifs et foisonnants (Hölderlin : « Vivre c’est défendre une forme »), une écriture unique qui se meut entre lumière et ombres, clarté et énigme, évidence et mystère. Elle nous interpelle constamment. Comment rester sourd à ce genre de phrases, citant Héraclite « qui a raison de dire que l’harmonie invisible est plus belle que la visible, et qu’on n’échappe pas à ce qui ne sombre jamais » ? Ou « l’expérience consiste à tout voir pour la première fois » ? Qui n’a pas rêvé un jour d’écrire une phrase de cet acabit ? Philippe Sollers les enchaîne, comment fait-il ?
Beauté est un livre sur la maturité du regard et de la pensée, ce n’est pas qu’un roman magnifique et malicieux. Inspiré par la Grèce et ses dieux, il est invitation à mieux penser, mieux vivre, mieux aimer et être aimé, mieux accomplir les choses, mieux écouter la musique, surtout celle d’un piano. Initiation à la « bénédiction du silence », il invite dans le nihilisme ambiant à se repenser au plus vite. Il n’y a désormais qu’une issue : « Ne pas laisser tomber la beauté ».