La Bouitte, l’hôtel et restaurant toujours au sommet de son art malgré la crise sanitaire

Publié le 19/02/2021

La Bouitte, l'hôtel et restaurant toujours au sommet de son art malgré la crise sanitaire

La truite Fario.

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Gageure professionnelle ? Challenge humain ? Folie pure que cette ouverture de La Bouitte, ce Relais & Châteaux hors norme en Savoie, ce restaurant trois fois étoilé depuis 5 ans ? Assurément non !

Se réinventer sans cesse en préservant l’ADN de la maison : accueil, gentillesse et qualité au service du client

À la tête de leur Bouitte, ce râvissant chalet de montagne au cœur du typique et préservé village de Saint-Martin-de-Belleville, René Meilleur, le père, et Maxime son fils, sont de la trempe de ces montagnards qui ne baissent pas les bras devant les problèmes et l’adversité. En mars dernier, la crise sanitaire a impacté René et son épouse ; mais « heureusement, c’était lors de la fermeture de l’établissement dûe au premier confinement » ! Depuis, les deux chefs n’ont de cesse de poursuivre l’aventure de leur maison. Et contre vents et marées, ou plutôt tempêtes de neige et absences de clients, ils se réinventent sans cesse tout en conservant leur ADN.

Le travail à La Bouitte, c’est leur vie, et tout comme des sportifs de haut niveau, ils n’ont aucune envie de s’arrêter et de se plier aux facéties d’un virus. L’important est de continuer, d’aller toujours de l’avant pour se dépasser eux-mêmes, continuer à motiver leur équipe, préserver le savoir-faire du personnel qu’ils ont formé.

À force de travail permanent, la maison s’est hissée à 1, puis 2 et 3 étoiles en 2003, 2008 et 2015. Décoration, cuisine, service et personnel sont parvenus sur la plus haute marche du podium en toute humilité, sans prétention aucune ; ce qui fait dire à Maxime Meilleur que c’est seulement au bout de 10 ans de « 3 étoiles » qu’il estimera avoir réellement cette troisième étoile, suprême distinction du Michelin.

En ces temps de renoncement pour beaucoup, on ne peut que dire « chapeau » à ces deux hommes, des Messieurs qui veulent continuer à demeurer dans le peloton de tête pour le seul plaisir et bien-être de leurs clients, des fidèles qui aiment retrouver ici une atmosphère familiale et bon enfant diamétralement opposée au faste parfois prétentieux des établissements haut de gamme et des restaurants oscarisés. Là où certains se plaignent, Maxime Meilleur s’émerveille et dit avoir enfin du temps pour se remettre en question et inventer de nouvelles recettes à l’image de son brochet aux œufs fumés, de son lapereau aux artichauts, de son île flottante à la mandarine.

La Bouitte, l'hôtel et restaurant toujours au sommet de son art malgré la crise sanitaire

L’assiette de ravioles.

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Un réel service en chambre

Outre l’amour pour leur vallée de Belleville qu’ils aimeraient transmettre, les Meilleur ne veulent pas perdre le lien avec leur clientèle. Fermer complètement l’établissement serait se couper de cette convivialité qu’ils ont créé à table, de cette satisfaction d’entendre un couple dire simplement : « On a été tellement bien et heureux chez vous ». Alors ils ont décidé de maintenir leur ouverture 7 jours sur 7, tout comme quelques autres Relais & Châteaux ; mais eux seuls assurent un inouï service en chambre comme si vous étiez en salle. Impossible avec les conditions sanitaires en vigueur d’assurer un service à la salle à manger ; mais celui-ci se déploie dans chaque chambre avec la même exigence, la même qualité de prestations tant pour les plats que pour les vins.

Pas de plateau déposé, mais du personnel qui en un ballet savamment orchestré, vient apporter les 4, 5, 8 surprises des chefs. À chaque plat, un vin proposé au verre par le sommelier qui explique les cépages propres à telle ou telle appellation qu’il a choisie en rapport avec la finesse du plat.

Mais qui œuvre derrière les pianos de la cuisine ?

C’est peu fréquent, les duos qui marchent dans un restaurant. À La Bouitte, depuis 1996, le père et le fils marchent de concert en une merveilleuse entente et complicité sans aucun ego de l’un ou de l’autre. Rare et si sympathique. Le premier apporte la sagesse et le professionnalisme des années, le second la créativité et la fougue d’une maturité, mais plus jeune. Quand un plat est envoyé en salle, l’un a cuit et préparé, et l’autre dresse et peaufine.

Depuis 2015, René Meilleur a confié La Bouitte à son fils ; mais comme dit ce dernier, tout se poursuit avec son père qui a tout créé de ses mains avec sa mère en 1976. René et Maxime se comprennent si bien, eux qui sont d’incroyables autodidactes partis d’un champ de pommes de terre dans les contrebas des Menuires et d’une recette de tartiflette, pour arriver dans un luxueux chalet savoyard aux matériaux anciens servant une cuisine triplement étoilée.

Des plats signatures qu’il faut absolument tester

Le tout premier serait peut-être le foie gras, un plat qui a inspiré René suite à une visite chez Bocuse en 1981. Comme le canard se nourrit de maïs, il a semblé évident au chef qu’il fallait adjoindre à l’escalope de foie poêlée une galette de maïs. Mais aujourd’hui, le plat est « chahuté » et nouvellement dessiné en séparant chaque ingrédient : le foie, le maïs, le miel, la chapelure végétale, le vieux vinaigre réduit.

La truite est un grand classique, car Maxime en mangeait petit grâce aux pêches à la main de son grand-père. Aujourd’hui, la truite Fario provient d’un vivier que les Meilleur ont dans la commune de Saint-Marcel, et le poisson en cuisant doucement prend une belle coloration bleue. Un simple beurre fondu, des légumes à l’oseille et un sabayon aux orties l’accompagnent.

Mythique et emblématique, le dessert de La Bouitte est le lait présenté comme le dit l’intitulé de la carte : «dans tous ses états », c’est-à-dire en meringue, en confiture, en sorbet, en biscuit. Intolérants au lactose s’abstenir !

On ne peut pas oublier les trois beurres servis avec les pains maison, lesquels ne sont pas de simples beurres mais des beurres, reflets de produits régionaux et de traditions locales ancestrales. En forme de ballotin, le premier beurre renferme du sérac de brebis ; le second est un beurre cuit, mélange de beurre frais et de beurre noisette, qui permettait aux paysans d’antan de garder plus longuement cette matière grasse ; le troisième est moulé en petites brindilles d’un fagot et infusé à la flouve, une plante odorante. Une expérience, un goût délicieux et totalement inédit pour un produit aussi basique que le beurre !

Des nouveautés culinaires qui flirtent avec les sommets

Ce duo de cuisiniers a profité de cette période d’activité plus lente, à cause du Covid, pour créer de nouvelles recettes. Nous n’avons pas pu toutes les goûter ; mais vous pouvez les choisir les yeux fermés, la recherche d’association des matières premières étant toujours subtile et le résultat final d’une finesse à nulle autre pareille. Posées dans un bouillon d’oignons, les ravioles se garnissent ici de reblochon qui éclate en bouche, coulant, fondant à souhait. De sublimes rondelles d’oignons à peine frits et parsemés de poudre d’oignon accompagnent les ravioles.

Bien plus fins que les topinambours ou les rutabagas, le légume ancien travaillé est le crosne qui est lié au jus de cèpes, afin de renforcer son côté sous-bois. Les crosnes sont servis avec des fleurs de capucine et des pastilles de jambon cru.

La mandarine, fruit typique d’hiver, pointe sa douceur d’agrume dans des œufs à la neige, des quartiers givrés en une fine coque qui dévoile le fruit en entier et un coulis. Tellement frais et léger !

Voilà une cuisine que les chefs nomment seulement « du cœur, des tripes » ; alors que nous dirons qu’elle est aussi et surtout le fruit d’un grand travail et professionnalisme. Essai après essai, test gustatif après test gustatif, le « pain est remis sur la planche » pour arriver à la perfection en rajoutant une pointe de sel, une épice, une herbe ou une racine qui viendront transcender le plat.

Un jeune sommelier qui remet en avant la valeur du vignoble savoyard

Arrivé en 2013 à La Bouitte, Antoine-Marie Bourlier, passé par Le Domaine de Chateauvieux près de Genève, est aussi jeune que talentueux. Mieux que quiconque, il saura vous faire découvrir d’autres vins que les classiques, les marronniers dont les prix sont à la hauteur de leur réputation. Il vous aiguillera plutôt sur des vins de Savoie, de Bourgogne, des pays de Loire, qui se marient parfaitement avec la finesse et la subtilité de la cuisine ici servie ; alors que les Bordeaux peuvent être plus et trop charpentés-structurés.

À l’apéritif, vous pourrez débuter avec une Roussette de Savoie Marestel 2011 du Domaine Dupasquier, une petite propriété familiale de 15 hectares qui fait vieillir au moins 4 ans ce cépage emblématique de la Savoie pour lui conférer une belle maturité (18 €). Sur une petite perche et ses rattes fourrées de safran, nous avons apprécié pour sa minéralité un Saumur Les Moulins 2017 du Domaine Guiberteau (20 €). Plus puissant, mais néanmoins frais, un Saint-Péray Les Figuiers 2017 du Domaine Bernard Gripa, un vigneron qui a aussi des vignes à Saint-Joseph (22 €).

Le temps et les lignes nous manquent pour vous parler plus de la décoration, de la piscine, du spa La Bèla Vya avec son lit de foin chaud. Mais vous l’aurez compris, La Bouitte, à l’opposé de son nom qui signifie « petite maison », est en réalité une très grande maison où la cuisine devenue un art qui se mêle à une gentillesse naturelle et à une générosité non feinte. Ici, il y a une ambiance, une famille, un souci du client, des notions qui hélas se perdent parfois. Le très sérieux et restrictif label EPV (Entreprise du patrimoine vivant), lui, ne s’est pas trompé en accordant une reconnaissance à cette maison l’été dernier.

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