La collection Emil Bührle

Publié le 14/05/2019

Amedeo Modigliani, Nu couché (1916).

SIK-ISEA, Zurich (J.-P. Kuhn)

Cette exposition mérite absolument une visite, par la qualité des 57 tableaux présentés réalisés par les plus grands artistes du milieu du XIXe au début du XXe siècle.

Plusieurs chefs-d’œuvre y figurent, dont Le Garçon au gilet rouge de Cézanne, Le Champ de coquelicots près de Vétheuil de Monet, ou le Nu couché de Modigliani.

Les œuvres exposées ont été choisies parmi les 600 que comprend cette collection prestigieuse, constituée entre 1936 et 1956 par l’industriel Emil Bührle. Né en Allemagne en 1890, il est amené à s’installer à Zürich en 1924 ; il y décède en 1956. En quelques toiles se dessine l’histoire de la création d’une période riche en multiples mouvements artistiques et en mutations qui ont conduit à l’arrivée de l’art moderne.

La majorité des œuvres a été acquise entre 1950 et 1956. Cependant, Emil Bührle a acheté durant la guerre, en toute bonne foi, 13 tableaux provenant de spoliations à des juifs ; après plusieurs procès, le collectionneur a proposé de racheter les œuvres qui avaient été rendues à leurs propriétaires ; il en a acquis 9. Une salle présente documents et archives sur ce sujet.

Si le paysage a rapidement intéressé le collectionneur, l’exposition débute par une composition puissante et parlante, avec Le Suicidé, réalisé en touches visibles par Manet qui, trois ans plus tard, peint Un coin de jardin d’une vraie poésie et reflète une influence impressionniste.

La présence d’une œuvre de Delacroix Apollon vainqueur du serpent Python s’explique par l’admiration que lui portaient les impressionnistes.

Mais la partie la plus importante du parcours concerne paysages et figures impressionnistes. Emil Bührle a découvert ce mouvement dans sa jeunesse lors d’une exposition à Berlin. Très vite, Monet retient son attention et c’est ainsi qu’il acquiert Champ de coquelicots près de Vétheuil ; une grande fraîcheur en émane, le rouge des fleurs animat ce paysage bucolique. À ses côtés, on admire la lumière blonde enveloppant un paysage de Pissarro ou celui enneigé, dont Sisley avait le secret. Renoir a également été sensible à la beauté simple des coquelicots rayonnant de leur rouge lumineux ; il les évoque avec poésie sous le chatoiement de la lumière. Sans doute est-il davantage encore un portraitiste d’enfants en particulier : « Pour moi, mon souci a toujours été de peindre des êtres tels de beaux fruits ». Celui d’Irène Cahen d’Anvers illustre cette beauté naturelle, la pâleur translucide de son visage encadré d’une somptueuse chevelure rousse. Edgar Degas a lui aussi excellé dans le portrait ; on découvre celui de Ludovic Lepic et ses filles, si naturel. Et l’on retrouve toujours avec le même plaisir la célèbre sculpture de la petite danseuse de 14 ans en tutu…

Vient 1900 et l’art moderne qui va s’épanouir. Bührle appréciait Toulouse-Lautrec, symbole du Paris insouciant et qui s’amuse ; il a acheté affiches et tableaux parmi lesquels Messaline ou Au lit, une gouache coquine. Ces œuvres font le lien entre impressionnistes et les Nabis, Vuillard et ses intérieurs feutrés, intimistes et Bonnard.

Cézanne est évidemment présent dans cette galerie d’artistes, avec en particulier une œuvre emblématique : Le garçon au gilet rouge, la meilleure des quatre versions réalisées dans laquelle l’invention plastique apparaît dans l’allongement d’un bras en premier plan.

Autre découverte du collectionneur : Van Gogh, dont est présenté Le semeur, soleil couchant, tableau symbolique où le soleil prêt à disparaître distribue une lumière assombrie. La fin de l’exposition est consacrée à l’art moderne, Picasso notamment, avec une nature morte de 1941 au cubisme adouci où la géométrisation n’altère pas la perception des objets mais encore l’une des acquisitions majeures, L’Italienne (1917).

Bien d’autres peintres sont à voir. L’exposition témoigne du goût d’Emil Bührle et de son éclectisme.

LPA 14 Mai. 2019, n° 144j9, p.16

Référence : LPA 14 Mai. 2019, n° 144j9, p.16

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