La correspondance entre le duc de Ferrare et le Titien

Publié le 16/08/2021

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps.

La Vénus du Titien.

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« Le 20 mars 1518, L’Assomption avait été découverte, à la grand’messe, le jour de Saint-Bernardin, dans l’église Santa-Maria-dei-Frari ; et les Vénitiens avaient pu admirer tout à coup réunis, selon l’expression d’un contemporain, la grandeur formidable de Michel-Ange avec le charme et la beauté de Raphaël et la couleur même de la nature. L’ambassadeur de l’empereur, Adorno, avait offert sur-le-champ aux moines, que cette manière grandiose et inattendue avait d’abord surpris, d’acheter la toile pour son maître. Le bruit de ce succès monta à la tête d’Alphonse ; il s’empressa de complimenter l’artiste en lui envoyant un programme pour l’une des Bacchanales. Nous n’avons pas cette lettre du duc, tous les papiers de Titien ayant disparu après sa mort, dans le pillage de sa maison abandonnée, mais nous en connaissons le sens par la réponse du peintre retrouvée dans les archives d’Este : « L’autre jour, j’ai reçu avec le respect que je dois la lettre de Votre Seigneurie ainsi que le châssis et la toile. J’ai lu la lettre, et les renseignements qu’elle contient m’ont paru si beaux et si ingénieux que je ne sais si l’on peut mieux trouver. Et vraiment plus j’y pense, plus je me confirme dans cette opinion que la grandeur de l’art des peintres anciens venait en grande partie, sinon en tout, de ces grands princes qui leur faisaient de si intelligentes commandes, dont ils tiraient ensuite tant de renommée. Aussi, si Dieu m’accorde que je puisse en quelque façon répondre à l’attente de Votre Seigneurie, qui ne sait combien j’en serai loué ? Néanmoins, en cela, j’aurai seulement donné le corps et Votre Excellence aura donné l’âme… ».

Sans doute il faut faire une part à la politesse et même à la flatterie dans l’admiration que témoigne le peintre pour l’érudition et l’imagination de son patron ; néanmoins, toute cette correspondance prouve que le duc de Ferrare s’occupait assidûment des commandes qu’il faisait, non en simple amateur, mais presque en collaborateur ». (À suivre)

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