La duchesse et le Robinson

Publié le 02/05/2024

Cette édition bilingue interlinéaire, imprimée par la duchesse de Luynes, a été adjugée 14 000 €

OVV Thierry de Maigret

Le succès obtenu par le Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1660-1731) a été tel que les éditions, après sa parution en 1719 et sa première traduction en français en 1720, se sont ensuite succédées à un rythme soutenu. Il en est une particulière, inconnue du grand public, sinon par quelques bibliophiles avertis. Celle-ci a été imprimée à Dampierre, Par G. E. J. M. A. L. (Guyonne-Élisabeth Josèphe de Montmorency d’Albert, duchesse de Luynes), en 1797, en 2 volumes in-8. Un exemplaire, relié à l’époque en veau blond, la frise dorée à la grecque encadrant les plats, le dos lisse orné, les tranches dorées, a été adjugé 14 000 €, à Drouot, le 12 mars 2024 par la maison Thierry de Maigret, assistée par Emmanuel de Broglie.

Cette édition, qui aurait été tirée à vingt-cinq exemplaires, porte comme titre complet : The Life and most surprising Adventures of Robinson Crusoe of York Mariner ; Who lived eight and twenty years in an 2 uninhabited 1 island on the coast of America, near the mouth of the great river Oroonoque. With an account of his deliverance thence and 2 his 1 after surprising adventures. La Vie et tres surprenantes aventures de Robinson Crusoe. d’York marin ; Qui vecut huit et vingt ans dans une inhabitée isle sur la côte d’Amérique, près de l’embouchure de la grande riviere Orénoque. Avec une relation de sa délivrance de cet endroit et de ses ensuite surprenantes aventures. Un livre bilingue interlinéaire et pédagogique, selon la méthode de César Chesneau Du Marsais (1676-1756) et qui n’est pas d’une lecture aisée.

Guyonne-Élisabeth Josèphe de Montmorency-Laval (1755-1830) épousa en 1768 Louis-Joseph-Charles-Amable d’Albert, le 6e duc de Luynes (1748-1807). Favorable aux idées libérales, le couple fut néanmoins arrêté et échappa de peu à la guillotine. Au lendemain de la Terreur, la duchesse de Luynes installa dans les dépendances du château de Dampierre une presse à imprimer. Selon Thomas de Luynes, auteur d’une monographie sur cette imprimerie (Société des Bibliophiles françois 2023), on ignore l’origine du projet de Guyonne et qui fut son professeur de typographie. Quoi qu’il en soit, « elle avait la prétention d’être un bon typographe », a révélé Juliette Récamier, après une visite à l’imprimerie Ballanche à Lyon en 1813. Il est vrai qu’elle imprimait elle-même les productions de ses amis ou le résultat de ses propres réflexions. Entre 1795 et 1806, elle imprima ainsi vingt titres.

Guyonne de Luynes était entichée de littérature anglaise. Elle choisit donc pour sa première publication Robinson Crusoé, dans cette version interlinéaire, qui lui parut idéale pour familiariser à l’anglais son fils, Charles, alors âgé de douze ans. On reconnaît ses imprimés grâce à leur adresse bibliographique comportant le monogramme G. E. J. M. A. L, puis la date selon le calendrier républicain et entre parenthèses le millésime, selon le calendrier grégorien. Une adresse particulièrement rare.

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