La guerre sans effusion de sang
L’art de la guerre de Sun Zi, traduit pour la première fois par le RP Amiot, a été adjugé 5 000 €
Gros & Delettrez
Si le canon tonne du côté de l’Europe orientale, les manœuvres se poursuivent insidieusement en Extrême-Orient. Un pas en avant, trois en arrière, quatre sur le côté… de quoi énerver les chancelleries. Il n’est pas certain que chez nous les politiques aient tenu entre leurs mains le traité de Sun Zi. Cet ouvrage de stratégie militaire chinoise, datant de la période des Printemps et Automnes, autrement dit période Chun Qiu, qui s’est déroulée entre la fin du VIIIe et le milieu du IIIe siècle av. J.-C, est sans doute le plus renommé des classiques militaires. Il a été compilé en 1078, à l’instigation de l’empereur Shenzong de la dynastie Song, sous le titre des Sept classiques de l’art militaire. Nous le connaissons, chez nous, sous le titre simplifié de L’Art de la guerre. Il a exercé une influence considérable sur les traditions militaires chinoises et japonaises, et il est toujours enseigné en Chine, à Taïwan et dans l’ensemble des écoles militaires du monde sinisé ; il constitue le fondement de la pensée stratégique contemporaine en Asie.
Ce texte, composé de treize chapitres, a été traduit en français par l’un des Jésuites ayant vécu en Chine aux XVIe et XVIIIe siècle, le père Joseph Amiot (1718-1793), sous le titre : Art militaire des Chinois, ou recueil d’anciens traités sur la guerre, composés avant l’ère chrétienne, par différents généraux chinois. Un exemplaire de cette impression originale (Paris, chez Didot l’aîné, 1772, revu et publié par M. Deguignes, 1721-1800), dans un cartonnage marbré rose époque, la pièce de titre en basane brune, à toutes marges, a été adjugé 5 000 €, à Drouot, le 31 janvier 2024 par la maison Gros & Delettrez, Julien Rémaut étant au marteau, assisté par Ludovic Miran. Cet ouvrage est illustré de 33 planches coloriées (num. I-XII et I-XXI), dont 5 dépliantes, qui montrent des armes variées, des costumes, et des systèmes d’organisation de troupes.
L’Art de la guerre connut durant des décennies un grand succès avant de tomber dans l’oubli. La traduction en anglais par Lionel Giles en 1910, puis la victoire de Mao Zedong en 1949, ramènent l’attention sur ce manuel de stratégie indirecte. Les années ont passé et ce traité qui a un temps intéressé les stratèges occidentaux semble avoir été à nouveau mis de côté. Sun Zi préconisait la victoire sans effusion en sang, reposant sur cet axiome : « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. » Il est malheureusement facile de constater que, non pas les stratèges, mais ceux qui les gouvernent font fi de ce principe. Il est vrai que pour ce penseur chinois, l’art de la guerre est fondé sur la tromperie, et plus précisément : « Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser. »
Référence : AJU012s4