La journée d’une rêveuse et l’ombre de Stella

Publié le 12/06/2017

Affiche de L’ombre de Stella.

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Le théâtre du Rond Point a toujours des choix éclectiques. C’est le cas des deux one man et one woman show où l’on a rendez-vous avec la performance de deux comédiens hors du commun.

Le premier est celui de la diva argentine (mère prussienne, père italien et sans vrai domicile fixe) Marilu Marini, un monstre sacré venu de la danse et du music-hall. Elle quitta Buenos Aires pour venir à Paris dans les années 1970 avec la bande des Argentins exilés qui donnèrent un coup de jeune et de folie à un théâtre qui ronronnait un peu. Il y avait Alfredo Arias, qui créa pour elle maints spectacles dramatiques ou déjantés, Jorge Lavelli qui donna un lustre flamboyant au théâtre de la colline, il y avait Jérôme Savary, il y avait… Copi. Jean-Michel Ribes les a bien connus et son théâtre, qui les a souvent accueillis, retrouve la diva dans une composition qu’elle a commandée à un proche : Pierre Maillet. Il s’agit de deux textes de Copi, l’enfant terrible, le touche à tout surdoué, le créateur de la faussement placide « femme assise » du Nouvel obs, l’archange mort trop jeune : La journée d’une rêveuse, qu’avait joué Emmanuelle Riva au théâtre Lutèce en 1966, rarement reprise depuis et Rio de la Plata, un inédit.

S’échapper du morne quotidien pour se perdre dans des rêveries burlesques plus que romantiques, tel est le parti pris de Jeanne et du vagabond qui ne peut se déprendre des rives du Rio de la Plata. Ces textes ont un peu perdu de leur force, les militaires ne sont plus au pouvoir et la vie en Argentine a retrouvé une certaine insouciance. Mais le charme d’une langue poétique au service d’un mélange puissant de surréalisme, loufoquerie et profonde mélancolie agit toujours et la performance de la « grande » improvisatrice-imprécatrice-impératrice reste inégalée avec, comme écrin musical, le piano de Lawrence Leherissey, arrière-petit-fils de Méliès.

Le second spectacle est à la fois plus conventionnel mais tout autant burlesque. Conventionnel quant au sujet traité : celui des relations entre Stella, une ancienne star du cinéma des années 1930, cloîtrée dans une chambre voisine et Mylène, fille de concierge devenue sa suivante. Ces relations sont mises en lumière en un long monologue par celle qui sort ainsi de l’ombre où elle fut toute sa vie renvoyée. Et les sentiments divers s’entrechoquent, une certaine admiration, un brin de tendresse après une cohabitation aussi longue, mais surtout la colère, la rancœur, la rage contre les humiliations et l’injustice.

L’auteur a 93 ans et une carrière accomplie d’auteur dramatique puisqu’il s’agit du célèbre Pierre Barillet qui, avec son complice Jean-Pierre Grédy, donna au théâtre de boulevard des succès tels que Fleur de cactus et Folle Amanda. Le texte reste de facture classique, comme l’est la mise en scène de Thierry Harcourt mais le piment est versé sans ménagement par Denis d’Arcangelo, travesti dans le rôle d’une Mylène à première vue bien en chair et bien dans sa peau de râleuse, mais par ailleurs chaotique, fracassée et presque inquiétante, autant d’arrière-plans qui donnent à la pièce tout son intérêt énigmatique. Celui qui fut une « Madame Raymonde » au cabaret trouve là un rôle à sa mesure.

LPA 12 Juin. 2017, n° 127f0, p.21

Référence : LPA 12 Juin. 2017, n° 127f0, p.21

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