La lame glorieuse

Publié le 10/09/2021

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs,au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre.

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« L’héroïne n’avait certainement pas la salade ou le casque conique dont on l’a dotée. Elle se coiffait pour combattre d’un simple chapel de fer, sans masque ni bavière, sur lequel se brisa une pierre au siège de Jargeau. Cuirassée, elle devait l’être comme insigne du commandement, avec une courte jupe, huque bleue ou vermeille, à moins qu’elle n’ait adopté le jaseran ou cotte de mailles. Du reste, qui aurait pu s’en rendre compte à l’époque où l’usage était souvent de revêtir un habillement par-dessus le harnais de guerre ?

Mais, cuirasse ou jaseran admis, se garantissait-elle davantage par des brassards, des cuissards et des solerets, ces souliers de fer articulés ? Il est permis d’en douter, puisqu’elle fut blessée à la cuisse et que ses historiens parlent de manches collantes avec des crevés gris, et affirment que l’archer qui fit Jeanne prisonnière à Compiègne, le 24 mai 1430, dut la tirer à bas de son cheval par son long habit. Vous comprendrez que, personnellement, devant de telles incohérences, il me soit impossible de me faire une conviction me donnant toute satisfaction.

Cet holocauste n’était vraisemblablement représenté que par une dépouille opime enlevée aux Anglais et reprise lors de leur retour offensif, quelques jours après, sur l’ordre de l’évêque de Thérouanne. L’épée seule demeura au trésor de l’abbaye. Elle y était encore au XVIIe siècle où Félibien la vit, mais on discutait beaucoup alors son authenticité. Elle y resta néanmoins jusqu’au 12 novembre 1793, date où elle fut présentée à la Convention et brisée maladroitement à la Commission des Arts.

Problème que l’algèbre ne saurait résoudre. Qu’est devenue cette lame glorieuse ? Est-ce bien elle que, sous le nom de « Croisette de Jeanne d’Arc », nous vîmes figurer à la main de l’amazone Litini dans une pantomime célèbre de l’ancien Hippodrome ? Vous ne le croyez pas, ni moi non plus ». (À suivre)

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