La maîtresse ou la déesse ?

Publié le 21/12/2022

Exemple de reliure d’Henri II sur Cosmographia de Claudius Ptolomaeus

Bibliothèque nationale de France

L’une des plus anciennes marques de possession héraldique figurant sur l’extérieur d’un livre est constituée par la tranche supérieure peinte aux armes de France et de Castille d’un psautier parisien, datant du milieu du XIIIe siècle. C’est à la fin de ce siècle que l’on vit apparaître les premières reliures de parchemin ornées d’armoiries peintes ; suivirent au XIVe siècle les premières reliures armoriées en cuir incisé, ciselé ou estampé à froid. Les souverains, prenant soin de leurs livres et afin de marquer leur propriété, firent orner leur reliure de leur emblème. Ceux de François Ier se reconnaissent grâce à la salamandre couronnée. Ceux d’Henri III sont ornés d’un semis d’initiales et de motifs funèbres. Les volumes de Louis XIII sont semés de fleurs de lys et de « L » couronnés. Le soleil de Louis XIV est facilement identifiable. Henri II a, en revanche, laissé une énigme. Il faisait apposer ses initiales « H.C. » – inversé pour Catherine de Médicis, à moins qu’il ne s’agisse d’un « D » – formant également un croissant, emblème de sa maîtresse Diane de Poitiers. Les historiens comme les bibliophiles sont partagés. Les uns votent pour Catherine, les autres pour Diane.

Le triple croissant formant deux « D » peut encore s’interpréter autrement : « Henri Deux ou Henri/Diane ». Comme l’explique Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée nationale de la Renaissance d’Écouen : « Tout au long du règne l’on pourra constater l’omniprésence de cette emblématique lunaire, comme une allusion permanente à la personne et à l’ambition du souverain français ». Celle de présenter le roi de France comme l’égal de l’empereur [du Saint-Empire]. Henri II fit apposer dans les décors et sur ses objets personnels son monogramme et les croissants. L’une des dernières reliures aux armes et au chiffre d’Henri II, sur Divi Aug. Sermones. Secunda [et Tertia] pars. (Lyon, Jacob Mareschal, 1520, 2 parties en 1 vol. in-4), a été adjugée 950 € à Drouot, le 19 mai 2015 par la maison Ferri. Ce volume relié en maroquin brun présente notamment un dos à nerfs orné à froid avec monogramme doré répété, sur les plats, les fleurons, fleurs de lys et monogramme dorés sont répétés entourant les armoiries au centre. Bien que les armes et le chiffre ont été apposés postérieurement, le second plat de la reliure porte le chiffre DF estampé à l’origine à froid.

Selon Thierry Crépin-Leblond, la présence du double delta doit être mis en relation avec la déesse Diane, et non Diane de Poitiers. Henri II avait la volonté de se placer sous le signe de la déesse de la chasse, comme le fit d’ailleurs François Ier. Mais, souligne encore le directeur du musée de la Renaissance, Diane de Poitiers utilisait non ses armoiries, mais son monogramme propre, un double delta grec comme le double D, par allusion à son prénom. « Ce qui lui permit de s’approprier une partie de la construction emblématique mise au point pour son royal amant ». En réalité, Diane a provoqué la confusion dans laquelle tous les bibliophiles sont tombés depuis des lustres. Mais la symbolique est tellement belle !

Sous le signe de la lune – L’héraldique du roi Henri II, Thierry Crépin-Leblond, RMN, 7 €, 56 p.

« Le blason des temps nouveaux », Musée national de la Renaissance, château d’Ecouen, rue Jean Bullant, 95440 Écouen

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