La piqûre de l’araignée
Le nouveau roman de Fred Vargas.
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Arachnophobes et autres effrayés des insectes rampants, passez votre chemin. Le nouveau roman de Fred Vargas, Quand sort la recluse, est truffé de bestioles gesticulantes et nous entraîne, à la suite de ces animaux, jusqu’aux confins de l’inhumanité.
Le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg a la tête dans les brumes islandaises où s’était déroulée sa précédente enquête, lorsque la brigade du XIIIe arrondissement de Paris le rappelle. Une femme a été écrasée par le 4×4 de son mari et l’équipe a besoin de son chef.
Mais en réalité, cette triste histoire ne représente que le prélude à une affaire bien plus passionnante.
Adamsberg, intuitif et rêveur, s’intéresse de près aux récents hauts faits d’une petite araignée peureuse, la recluse, dans le Gard, près de Nîmes.
Trois vieillards sont morts des suites d’une piqûre de cet arthropode. Vieillards à la santé fragile peut-être, mais la recluse n’a rien d’une veuve noire et reste habituellement anonyme. Ce qui pique, justement, l’intérêt du commissaire, c’est que le venin d’une seule de ces araignées n’est pas mortel. Il en faudrait pas moins d’une quarantaine pour venir à bout d’un homme, et cette araignée a plutôt tendance à se terrer dans les recoins sombres qu’à attaquer les passants.
Meurtres, subodore Adamsberg. Folie, clame Danglard, son adjoint, en entendant les élucubrations de son supérieur. Cette histoire regarde selon lui, les zoologues et les épidémiologistes. Il croit l’esprit du commissaire perdu et s’oppose à ce que la brigade s’échine à jouer les vétérinaires.
Réussissant à former une petite équipe qui travaille dans l’ombre, Adamsberg sillonne le pays, à la recherche d’un début de piste tangible pour suivre le fil ténu de l’araignée. Ce fil d’Ariane les mènera sur les terres inconnues des pratiques médiévales, où le terme « recluse » prend tout son sens.
Fred Vargas est renversante. Elle nous rappelle, à chaque nouvelle enquête, chaque nouvel univers, tout le talent qu’elle possède pour conter des histoires. Car tout est toujours si serré, si emmêlé au départ, qu’on imagine mal défaire les nœuds et voir une vérité limpide apparaître. Et pourtant, cette archéozoologue et médiéviste passionnée parvient finalement à une intrigue magistrale et qui tient toujours la route.
La « touche » de Fred Vargas tient évidemment dans son attention aux personnages, complexes et attachants ; le roman foisonne de détails réalistes et amusants sur chaque membre de la brigade, telle Froissy, policière spécialisée en nouvelles technologies qui garde jalousement un placard plein de nourriture pour subvenir à toute éventualité, ou Estalère, imbécile heureux qui voue une admiration sans faille à Adamsberg, mais utile puisqu’il pose tout haut les questions un peu naïves que tous formulent tout bas. Dans son dernier ouvrage, Fred Vargas nous bouscule un peu et ses personnages nous surprennent.
Danglard, habituellement si fin, se montre borné, colérique et à la limite de l’ineptie. Adamsberg, en général si calme et passif a des réactions imprévisibles et violentes. Même Lucio, amical voisin qui gratte perpétuellement son bras manquant est ici absent et ne peut aider les « proto-pensées » du commissaire à éclore comme autant de bulles de champagne à la surface d’un verre.
Fred Vargas joue avec nos habitudes et nos certitudes et renouvelle ainsi une dynamique d’équipe bien rodée, et c’est d’autant plus agréable pour le lecteur. Encore une fois, elle a tissé sa toile et nous sommes pris dedans jusqu’à la dernière page.