La porte du monde chez les Dogons

Publié le 17/02/2023

Cette porte de grenier Dogon au Mali (65 x 43,5 cm) a été adjugée 800 €

Kohn

Sur la route de Koulikouro, au Mali, on voyait une bâtisse qui rompait la monotonie du paysage. Les rares arbres étaient inclinés dans la poussière, hésitant entre le rouge de la latérite et l’ocre du sable. La chaleur troublait la vue et donnait aux reliefs des contours fantomatiques. Les hauts murs que nous longions formaient un rectangle incongru dans cet espace nu. Une tourelle, une seule, les dominait. L’entrée majestueuse, édifiée dans le style local, faisait songer à celle d’un palais en banco. En fait, une ouverture sur la droite devait être la vraie porte. Nous devions apprendre qu’il s’agissait d’une prison, et qu’elle était toujours vide car elle n’avait pas été inaugurée. Aucun ministre, préfet ou officiel n’avait voulu officier. Tous ces importants personnages étaient très superstitieux. « On prétend que celui qui inaugure une prison y sera immanquablement emprisonné un jour », nous avait-on précisé. La prison était donc toujours vide, et les voleurs couraient toujours. En réalité, il y eut bien un voleur qui entra dans cette prison fantôme : celui qui en vola la porte…

Nous ignorons si cette porte ressemblait à celle qui a été adjugée 800 €, à Drouot, le 20 décembre 2022 par la maison Kohn, assistée par Aurore Krier-Mariani. Cette porte en bois et métal, qui fermait sans aucun doute un grenier, et provenant du pays Dogon, au Mali, est caractéristique de l’architecture de cette région qui s’étend des deux côtés du massif de Bandiagara, au cœur des hauts plateaux du Mali. Les colonnes des hangars (togu-na) ou huttes à palabres et les greniers se reconnaissent pour la plupart grâce aux motifs très stylisés, souvent composés de chevrons. Chaque motif possède une signification : « D’une façon plus générale, ces motifs sont à la base des systèmes de signes graphiques que l’on rencontre non seulement chez les Dogons, mais aussi dans beaucoup d’autres civilisations de l’Afrique », précisait Geneviève Calame-Griaule (1924-2013), célèbre pour ses travaux sur cette ethnie.

Cette porte de forme rectangulaire, fabriquée dans un bois clair, présente une alternance de bandes et de frises triangulaires. Cette ligne de chevrons est nommée di odu, signifiant « chemin de l’eau » et, selon l’expert Aurore Krier-Mariani, peut se traduire comme le « chemin de la parole ». Elle ajoute qu’associée à des séries de lignes incisées, elle peut avoir une signification cosmique, autrement dit le « chemin de la descente entre ciel et terre ». Tout est symbole en Afrique, mais pour reprendre le mot de Marcel Griaule (1898-1956), « ces aventures sont celles de la création elle-même ». Sa fille Geneviève, de son côté, se référant à la cosmogonie Dogon, raconte qu’ouvrir un grenier pour en faire sortir des céréales, c’est faire le même geste qu’Amma, le dieu suprême qui créa la terre et en fit son épouse. Autrement dit, cette simple porte symbolise l’ouverture au monde, la naissance au monde.

Marc-Arthur Kohn, 24 avenue Matignon, 75008 Paris

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