La poupée sanglante

Publié le 19/07/2016

Décidément, les représentations de la troisième heure (celle de 21 h qui fait suite aux deux spectacles Ionesco) du Théâtre de la Huchette sont excellentes. Après le succès de Kiki de Montparnasse – 200 représentations et une nomination aux Molières 2016 –, voici à nouveau une comédie musicale qui devrait tenir la scène longtemps.

Il fallait une certaine audace à Didier Bailly et Éric Chantelauze, qui ont déjà monté deux spectacles ensemble, pour entreprendre de transformer les 40 feuilletons quotidiens livrés par Gaston Leroux en 1923 au journal Le Matin en un spectacle où trois comédiens-chanteurs font vivre de multiples personnages emportés dans un flot tumultueux d’aventures rocambolesques sur la scène minuscule de ce théâtre de poche.

Le créateur de Rouletabille et de Chéri-Bibi invente ici deux personnages inquiétants : Bénédict, que sa laideur pousse au crime – mais est-il vraiment l’assassin des jeunes filles disparues ? Gaston Leroux ne peut s’empêcher de se laisser aller à l’intrigue policière – et Gabriel, la beauté, le charme, mais inhumains puisqu’il s’agit d’un robot fabriqué par des scientifiques de génie – le final de l’histoire est un hymne (ironique) au progrès.

Au-delà des aventures abracadabrantesques où il est question de vampires – d’où le titre de la pièce – et où l’on rencontre un marquis et sa femme, l’un et l’autre totalement déjantés, il y a une fine histoire d’amour, digne des plus subtiles approches psychanalytiques et très moderne dans sa complexité. Car la jolie Christine aime trois hommes à la fois : son fiancé savant obsédé par ses recherches, Gabriel le robot créé par lui et Bénédict le monstre humain, trop humain.

La mise en scène d’Éric Chantelauze crée un tempo alerte qui ne faiblit jamais et fourmille de trouvailles subtiles, avec peu de moyens : ainsi un éventail suffit-il à transformer le marquis en marquise. Le tout est rythmé par le piano de Didier Bailly en arrière-plan sur la scène, une sorte de Monsieur Loyal élégant qui a composé de charmantes mélodies.

Et les trois interprètes sont tout à fait remarquables, aussi à l’aise dans la comédie que dans le chant et la danse. Charlotte Ruby est Christine, charmante autant qu’ambigüe, qui se transforme en femme du peuple vulgaire à souhait ; Alexandre Jérôme est, avec beaucoup d’humour, un marquis-marquise et le fiancé inventeur du robot, et Édouard Thiébaut est avec brio, à la fois la laideur et la beauté, Bénédict et Gabriel, offrant même un numéro de claquettes très réussi. Elle a chanté Norma, ils ont connu les opérettes et les revues sur des scènes comme les Folies Bergères ou le Casino de Paris. Ils représentent cette nouvelle génération d’artistes complets au service du renouveau de la comédie musicale.

LPA 19 Juil. 2016, n° 119h7, p.14

Référence : LPA 19 Juil. 2016, n° 119h7, p.14

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