La traque
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C’est au parcours d’une vie, à une traque, que nous convie Olivier Guez dans son dernier livre, La disparition de Josef Mengele. La traque de « l’Ange de la mort », Josef Mengele, échappé d’Auschwitz, perdu, noyé dans un fleuve polonais, caché dans une ferme bavaroise qui finit par débarquer sur le sol argentin et qui durant trente ans, parcourra à l’insu des États qui avaient mis sa tête à prix, le monde mais surtout les terres d’Amérique du Sud, de l’Argentine en passant par le Paraguay pour finir par échouer sur une plage brésilienne.
C’est l’occasion de dresser un portrait de ce médecin allemand, fils de bonne famille qui fut l’un des pires tortionnaires de l’histoire de la Shoa mais qui grâce à un concours de circonstances, à de l’argent, beaucoup d’argent, et à des rencontres bienheureuses a pu échapper durant 30 ans à la justice des hommes.
En filigrane, de son arrivée sur le port de Buenos Aires en ce 22 juin 1949 à sa mort au Brésil, en 1979, c’est notre histoire contemporaine qui défile. Les affres de la reconstruction allemande, la real politik qui prend le dessus face à des impératifs de justice, la politique américaine qui fait face aux ennemis communistes dans une Amérique du Sud pauvre et dévastée, qui laisse proliférer des dictateurs fantasques.
C’est aussi toute une organisation bienveillante qui laisse débarquer des hommes et des femmes qui ont commis les pires atrocités en Europe mais qui grâce à un système de crime organisé leur offrira une seconde chance afin de refaire leurs vies et trouver un nouvel eldorado dans cette pampa aride.
C’est un véritable carnet de route qu’a réussi à tracer Olivier Guez en se basant sur des documents et des ouvrages historiques laissés par Josef Mengele lui-même et ceux qui l’ont côtoyé.
Portrait d’un tortionnaire : du Pacha au fantôme
Ce livre est aussi et surtout un roman qui nous présente l’homme qui se cache derrière les adjectifs : monstre, ange de la mort, le fils de Satan, « le symbole de la cruauté nazie ».
Si « Mengele est le prince des ténèbres européennes », il est surtout orgueilleux, veule, avide d’argent, peureux, menteur mais aussi amoureux ; et ce sont peut-être les pires pages du livre où l’auteur nous présente la vie de ce médecin, assoiffé de réussite, qui organise de façon drastique la politique du Reich, en triant les hommes, femmes, enfants qui seront immédiatement tués ou ceux qui serviront au camp, mais qui en parallèle vit une seconde lune de miel à Auschwitz quand sa première femme, Irène, le rejoint. Cette antithèse entre le bonheur conjugal et les atrocités commises nous touche, nous blesse, nous désole mais relève toutes les réalités de la guerre, la vie continue, enfin, pour certains…
Dans un style simple, médical, l’auteur nous rappelle que l’homme est épris de réussite, qu’il s’est pris pour un demi-dieu en désirant marquer de son empreinte la génétique moderne, notamment avec ses expériences sur les jumeaux ou les infirmes…. Le récit du massacre d’un père bossu et de son fils boiteux est clinique, froid mais relève bien de la folie de cet homme et de ses comparses…
Mengele, collectionneur, de gamètes et des yeux bleus de ses victimes, aime le luxe, la musique classique et honnit le peuple… Il refait sa vie, monte un nouveau business, aidé par ses connexions familiales. Il coule des jours heureux sur les terres australes presque tranquillement jusqu’en 1960 où sa tête finit par être est mise à prix. C’est alors que le rythme s’accélère de caches en caches alors que le Mossad commence à lancer des expéditions punitives.
Aveugle face à ses propres crimes, Olivier Guez ne manque pas de faire dire à Mengele que c’était tout un système qui participait à ce génocide, en effet nombre d’entreprises ont tiré parti de la main-d’œuvre des camps ; « en travaillant main dans la main à Auschwitz, industries, banques et organismes gouvernementaux en ont tiré des profits exorbitants » ; et c’est ce que trouve injuste Josef Mengele, lui qui n’était qu’un petit fonctionnaire à la botte de l’État, lui ne s’est pas enrichi, il ne comprend pas pourquoi « il devrait payer l’addition » !
« N’est perdu que celui qui s’abandonne à lui-même »
C’est pourquoi, il a résisté à sa façon, il a fui de pays en pays, de villes en villes, d’haciendas luxueuses en taudis minables. Car comme le dit son ami Rudel, « tout est possible en Argentine, n’est perdu que celui qui s’abandonne lui-même ! ». C’est cette maxime qui le fera tenir dans ses pires moments de doute mais le destin est en marche et on demande des comptes… Il devra fuir toute la fin de sa vie. Il finit tel un rat, un cafard, malade, « la démence rode ». Olivier Guez veut croire que ce sont ces victimes qu’ils voient dans ces pires cauchemars, mais il meurt dans l’immensité de l’océan sans avoir répondu de ces crimes. Il est mort et enterré sans sépulture ; ses os légués à la médecine brésilienne comme un pied de nez au médecin généticien demi-dieu qu’il aurait aimé être…