La tribu de Dana

Publié le 12/10/2017

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L’immense affiche d’une Audrey Dana colorée s’étend sur la longueur du mur de ce petit théâtre parisien, niché au milieu des beaux quartiers. « Indociles » nous crient les lettres agrandies. C’est ce que nous verrons…

Nous descendons d’un étage avant de pénétrer dans une salle feutrée, quelques rangs seulement, et la scène, très proche.

Lorsque le rideau s’ouvre, Audrey Dana s’avance, pas de costume, un simple pantalon noir, un tee-shirt noir, des chaussures noires, sobriété nécessaire au changement de peau auquel elle va se livrer bientôt. Sur le côté de la scène, une batterie ; une autre femme vêtue de noir, Lucie Antunes, manie les baguettes.

Lorsqu’elle s’avance sur le devant de la scène, si proche qu’on peut y voir les creux, les pleins et les déliés de son visage, et qu’elle énonce : « j’ai 8 ans, et je vais devenir peintre », les traits de la comédienne rajeunissent sous nos yeux, ses expressions dessinent une candeur de cour d’école, et l’on embarque dans l’histoire de cette gamine à qui la mère a dit un jour : « tu devrais devenir peintre, ça au moins, ça ne fait pas de bruit ».

La trame se dévoile peu à peu, et le pivot, celui qui donne son titre au spectacle provient d’une scène hilarante dans laquelle une institutrice pète-sec assène au père de l’enfant que celle-ci a osé répondre à son injonction de rentrer dans le rang et tenir la main de ses camarades, qu’on ne lui dirait pas quoi faire. « Votre fille est indocile, c’est inadmissible ! », s’est alors emportée l’institutrice avant de se radoucir sous les compliments d’un père enjôleur.

Indocile… Est-ce bien ? Est-ce mal ? Qu’est-ce donc ? Indociles, tous les personnages campés par une Audrey Dana survoltée le sont, ils ne suivent pas la tendance ou si c’est le cas alors, seulement par hasard, « les tiroirs dans lesquels on les met ne ferment pas », ils ne font pas comme il faut, mais ils sont si beaux, si réels !

La comédienne, se munissant seulement d’un accessoire parfois, et surtout, de sa capacité à modifier ses traits, ses attitudes, les postures de son corps, endosse tour à tour les rôles qui marquent la vie de cette enfant qui deviendra peintre : le père, flambeur, dragueur, absent mais pourtant si important dans la construction de l’enfant, la mère, américaine un peu folle qui décide de devenir famille d’accueil pour enfants de la DDASS afin de toucher des allocations, dans sa propriété de Maddyland, digne des plus grandes folies hollywoodiennes, Jeanine, trentenaire du Sud qui tente de conquérir un jeune apollon, Olympe, femme forte, libre et libérée ou encore Rose, vieille femme qui aime qu’on danse la valse « à sa manière ». Au total, 14 personnages, barrés, géniaux, jamais caricaturaux viennent habiter la comédienne.

Et à chaque changement de personnage, accompagné par une batterie délicate ou puissante, sur laquelle les mots deviennent parfois des cris, des slams enflammés, on est emporté par la force d’Audrey Dana et de cette accompagnatrice musicale, on perçoit ces personnages, on les admire, on les aime. Sa force est de nous faire passer du rire aux larmes sans nous prévenir et sans jamais nous perdre.

Profonde autant dans la comédie que dans les moments plus touchants, Audrey Dana est d’une justesse impressionnante.

On ressort grisé de cette pièce, renforcé aussi, et certain que nous sommes aussi des indociles, enveloppés de la lumière dont nous inonde Audrey Dana.

LPA 12 Oct. 2017, n° 130b4, p.15

Référence : LPA 12 Oct. 2017, n° 130b4, p.15

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