La Vie de Galilée
La Scala Paris
Après sa création en 1957 et son succès au TNP en 1963, La Vie de Galilée avait connu de longues éclipses. La pièce attire à nouveau les metteurs en scène. La Comédie française vient de l’inscrire à son répertoire en juin dernier, près de 30 ans après Antoine Vitez, dont ce fut la dernière mise en scène et, en cette fin d’été 2019, c’est au théâtre La Scala qu’il faut aller voir ce spectacle.
Deux mises en scène très différentes, celle d’Éric Ruff, rue de Richelieu et celle de Claudia Stavisky dans cet ancien café-concert qui accueillait les stars de la Belle Époque (Mayol, Fréhel, Yvette Guilbert) et qui, devenu cinéma Arts déco, vient d’être récemment transformé par Richard Peduzzi, le talentueux scénographe de Patrice Chéreau, en un espace modulable au design élégant, destiné à promouvoir l’art et la création.
Pour présenter cette œuvre magistrale, Éric Ruff a choisi la rutilance : décor muséal avec de grandes fresques religieuses de la Renaissance, costumes signés Christian Lacroix, une troupe au grand complet, et qui, insistant sur le côté jouisseur du savant, tourne la représentation vers le grand spectacle.
La mise en scène de Claudia Stavisky est bien différente. Cette comédienne passée à la mise en scène depuis une trentaine d’années, dirige le Théâtre des Célestins à Lyon et développe une belle énergie pour la promotion de spectacles d’envergure mêlant auteurs classiques et contemporains, s’ouvrant ces dernières années à des collaborations avec la Russie et la Chine et créant des ateliers d’insertion des défavorisés.
Elle a choisi l’épure et une économie de moyens pour monter son « Galilée » : décor minimaliste élégant et clair-obscur, costumes ordinaires (sauf pour le pape et les cardinaux), troupe réduite, les acteurs jouant plusieurs personnages, dépouillement, dont l’unité fait ressortir la vie quotidienne de Galilée, aussi renommé que mal payé. Même si « penser est un des plus grands divertissements de l’espèce humaine », les jouisseurs de la pensée, nous dit Brecht, « ont besoin d’avoir le ventre plein ». Rien n’a changé depuis, le savoir et la recherche pure sont peu considérés par le pouvoir et poussés à se compromettre avec les intérêts privés.
Ce constat, qui n’est que secondaire, montre bien le souci qu’avait l’auteur d’accrocher l’œuvre à notre époque plongée, lorsqu’il avait repris l’écriture de sa pièce, dans le chaos atomique d’Hiroshima. À cette identité entre l’auteur et son personnage s’ajoute celle de l’identité de deux époques au bord du gouffre : effondrement d’une civilisation fondée sur le dogme de l’Église au temps de Galilée et, de nos jours, celui d’une civilisation fondée sur le capitalisme sauvage et la finance. L’aveuglement des pouvoirs politiques et économiques à ne pas prendre en compte l’urgence écologique est le même que celui qui poussait l’Église à refuser, au XVIIe siècle, l’évidence scientifique d’une Terre tournant autour du soleil. Galilée fut un lanceur d’alerte et éternel est son cri d’alarme : « Qui ne connaît la vérité n’est qu’un imbécile. Mais qui, la connaissant, la nomme mensonge, celui-là est un criminel ».
Grand poème dramatique, construit comme une suite de variations, le texte est d’une densité exceptionnelle avec une succession de formules et de tirades exaltées sur la politique et la métaphysique. Rien de figé pour entrecroiser les certitudes et le doute.
Même performance pour ce Galilée d’une vérité humaine étonnante, gommant tous les artifices, mettant en valeur l’obsession de savant que rien ne peut détourner de ses découvertes, sa solitude, ses contradictions, ses doutes, sa mélancolie ne refusant pas le bien boire et manger. Un rôle écrasant, un magnétisme entre l’acteur et son personnage, entre les spectateurs et le comédien.