L’affaire des 7 de Chicago : un film de procès sur fond de violence policière et d’élections présidentielles américaines

Publié le 12/02/2021

Le procès des 7 de Chicago s’est tenu en 1969 sur décision du nouveau président Nixon après les émeutes dans cette ville en août 1968. Aaron Sorkin en fait un film de procès à l’esthétique classique mais efficace et qui résonne avec l’actualité la plus récente aux États-Unis sur fond de violences policières et d’élections présidentielles.

L’affaire des 7 de Chicago : un film de procès sur fond de violence policière et d’élections présidentielles américaines

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Sont connus comme « les 7 de Chicago » – qui en fait étaient 8 – les personnes inculpées dans le procès qui se déroule pendant plus de 6 mois à partir du 26 septembre 1969 sous la présidence du juge Julius Hoffman, soit plus d’1 an après les émeutes qui ont eu lieu dans cette ville, à l’occasion de la Convention nationale démocrate de Chicago qui devait investir le candidat du parti à l’élection présidentielle et à laquelle le président Johnson, très impopulaire, ne s’était pas rendu.

Les organisateurs du rassemblement en marge de la réunion politique officielle avaient demandé à plusieurs reprises, mais sans succès, l’autorisation municipale de se réunir afin que la sécurité publique soit assurée. Ne souhaitant pas renoncer pour autant à témoigner de leur opposition à la guerre au Vietnam en profitant de la couverture médiatique de la Convention, des milliers de représentants du Students for a Democratic Society, du Youth International Party (les Yippies), partis libertaires et pacifistes, et des Black Panthers avaient maintenu leur venue dans cette ville de l’Illinois. Le rassemblement pacifiste dans Grant Park, face à l’hôtel Hilton, lieu du Congrès, a tourné à l’affrontement avec la police.

Le FBI avait produit des notes et enquêté sur ces représentants de « la nouvelle gauche anti-conformiste ». Le nouveau président républicain, Richard Nixon, a voulu à tout prix que des poursuites judiciaires soient engagées par son nouveau ministre de la Justice, John Mitchell, tous deux bien résolus à faire taire l’opposition à la continuation de la guerre au Vietnam. Ces poursuites s’inscrivaient dans la logique de sa campagne : le rétablissement de la loi et de l’ordre (law and order).

C’est ainsi qu’Abbie Hoffman, Jerry Rubin, Tom Hayden, Rennie Davis, David Dellinger, John Froines et Lee Weiner se retrouvent sur le banc des accusés, ainsi que Bobby Seale – le fameux huitième –, fondateur des Black Panthers, le seul à être incarcéré car suspecté du meurtre d’un policier dans le Connecticut. La question centrale était de savoir qui avait provoqué les émeutes : les manifestants ou la police ? L’audition d’un témoin-clé, l’ancien ministre de la Justice, Ramsey Clark, hors la présence du jury (selon la procédure américaine dite du « voir dire »), a révélé qu’une enquête de la section criminelle de son département établissait la responsabilité de la police dans le déclenchement des événements et que le service de contre-espionnage avait conclu à l’absence de conspiration…

C’est donc cette époque d’affrontement générationnel1, cet exemple de liberté d’expression, de se réunir et de manifester empêchée par le pouvoir politique, déguisant les suites en règlement juridique, alors qu’il s’agissait évidemment d’un procès politique, qu’a voulu explorer Aaron Sorkin.

Le dramaturge et cinéaste américain est à l’évidence intéressé par la chose juridique. Ses scenarii tant de A Few Good men (Des hommes d’honneur) en 1992, que de The Social Network en 2010, témoignent de cette attirance. Le premier est un film de procès dans le contexte particulier de Guantanamo et de la justice d’exception (cour martiale). Le second, réalisé par David Fincher sur la création de Facebook par Mark Zuckerberg, consacre une part importante de son récit au huis clos feutré entre avocats haut de gamme qui aboutit à un accord de dédommagement à l’amiable2 dont les suites judiciaires pourraient d’ailleurs faire l’objet d’un deuxième opus3.

C’est un contexte et une histoire américaine tout autres qu’Aaron Sorkin a investi 10 ans plus tard avec The Trial of the Chicago 7. Le décor est d’abord planté par quelques images d’archives de l’époque (Lyndon B. Johnson, Martin Luther King, John Fitzerald Kennedy). Puis, rapidement, le film de procès se met en place avec l’évocation du premier amendement de la Constitution des États-Unis4, qui garantit notamment la liberté de réunion. Le rappel de cette base juridique est important car la stratégie de l’accusation a consisté à le faire oublier en invoquant les chefs d’inculpation de complotisme, destruction de biens publics, violation de propriété, menace à la sécurité nationale, en s’appuyant notamment sur la loi dite Rap Brown. En fait, comme le film ne l’explique pas, il ne s’agit pas d’une loi, mais d’un article du Civil Rights Act de 1968 qui criminalise les émeutes (titre X, également connu comme l’Anti-Riot Act), constituée par le seul fait de « voyager dans le commerce interétatique … dans le but d’inciter, de promouvoir, d’encourager, de participer et de perpétuer une émeute »5.

Le film est monté avec une alternance de flash-back sur la manifestation et de scènes d’audience, lesquelles ne sont pas particulièrement innovantes, dans une mise en scène assez classique et statique au tribunal. Même si l’on a parfois du mal à être pleinement convaincu par la crédibilité de certains acteurs dans leurs rôles d’opposants politiques, le film reflète de manière assez réaliste l’opposition binaire entre les représentants de l’ordre et ceux de la contestation, qui n’est que l’illustration réaliste d’un procès paradoxalement aussi banal que singulier. Le cinéaste parvient en outre à ne pas tomber dans la caricature des grandes figures du procès.

Le portrait de Hoffmann, juge partial et inhumain, qui fait pleuvoir les outrages à magistrat et n’hésite pas à faire rouer de coups Bobby Seale et à le faire mener, bâillonné, devant jury et public dans la salle d’audience, après qu’il a revendiqué une énième fois la violation de son droit constitutionnel à être représenté, est très bien dessiné. La technicité des avocats, que ce soit ceux de l’accusation (Maître Schultz) ou de la défense (Maîtres Weinglass, Kuntzler), est également bien dépeinte.

L’affaire USA v. Dellinger & al. s’est terminée en première instance le 20 mars 1969, au 151e jour d’audience : cinq des sept accusés ont été condamnés chacun à 5 années de prison pour incitation à l’émeute et Bobby Seal a été relaxé. Ce verdict a été infirmé ensuite en 1972 par la cour d’appel, critiquant sévèrement le juge et le procureur, mais le certiorari a été refusé par la Cour Suprême le 7 mars 1973.

Le film, quant à lui, s’achève sur l’intervention très symbolique et théâtrale de Tom Hayden, choisi pour une ultime déclaration des prévenus et auquel le juge Hoffman promet la clémence s’il fait court et preuve de remords… Il lui est répondu par la lecture des noms et qualités des 4 752 soldats tués au Vietnam pendant la durée du procès…

Sorti quelques semaines avant l’élection du 46e président des États-Unis, quelques mois avant les émeutes au Capitole, et dans une année de recrudescence de violences policières, The Trial of the Chicago 7 est un film d’histoire et d’actualité important sur le plan civique, même s’il n’est pas le meilleur dans sa catégorie de films de procès.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Une époque secouée par de jeunes contestataires qui n’oublient pas pour autant ses grands présidents, tel Abbie citant Lincoln : « Quand le peuple sera lassé de son droit à réformer le pouvoir, il exercera son droit révolutionnaire à le démanteler et à renverser ce pouvoir ».
  • 2.
    Le litige a été initié par Eduardo Saverin, associé et seul ami de faculté de Zuckerberg, qui réclamait réparation après avoir été quasiment évincé de la société, ainsi que par les frères Wincklevoss, étudiants de Harvard, se plaçant sur le terrain de la propriété intellectuelle, avec une accusation de plagiat. Ils ont obtenu 65 M$ de dédommagement.
  • 3.
    Alors que l’accord a été contesté par la suite par la voie judiciaire, les frères se sont finalement désistés en 2011 après l’arrêt de la cour d’appel qui a rejeté leur requête, renonçant à aller devant la Cour suprême. Aaron Sorkin a indiqué envisager d’écrire le scénario de la suite du système Facebook si Fincher réalise le film.
  • 4.
    « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus ».
  • 5.
    Cet article avait été rédigé à la suite de l’arrestation du militant noir des droits civiques H. Rap Brown en 1967 qui avait transporté une arme en passant plusieurs frontières d’États américains et avait été accusé d’émeutes. Il avait été défendu par W. M. Kunstler, qui intervient dans le procès des 8 en 1969.
LPA 11 Fév. 2021, n° 159h5, p.18

Référence : LPA 11 Fév. 2021, n° 159h5, p.18

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