L’art vocal singulier de Sigismondo D’India

Publié le 12/10/2021

Ricercar

L’infatigable dénicheur de raretés qu’est Leonardo García Alarcón nous emmène dans une contrée inédite à l’orée du baroque, celle des madrigaux de Sigismondo D’India, un musicien peut-être plus « moderne » encore que Monteverdi. Figure essentielle du début du baroque, D’India (ca. 1580-1629), chanteur et joueur de théorbe, né dans l’Italie méridionale, s’est beaucoup déplacé dans la péninsule, à Florence, Milan, Rome, Turin, souvent parce qu’au service de princes et mécènes, dont celui de la cour de Savoie. Il publie plusieurs livres de madrigaux de 1606 à 1624 et de monodies accompagnées à une ou deux voix. C’est que ce contemporain de Monteverdi a contribué, comme lui, à bouleverser l’histoire de la musique. Avec ce qu’on appelle la « seconda pratica » qui voit la musique vocale s’affranchir des règles strictes du contrepoint et mettre en avant un mode d’expression favorisant l’exacerbation des émotions, même par la dissonance. D’où l’appellation de « nuove musiche », c’est-à-dire de nouvelles musiques. D’India est le chantre du genre de la monodie accompagnée, proche de l’art de la parole et cherchant à traduire les différents affects des textes, empruntés à des auteurs célèbres dont Pétrarque, mais aussi issus de sa propre plume. Les thèmes abordés vont de la désillusion amoureuse à la peur de la mort, de la prégnance de la solitude à l’indicible mélancolie. Pour séduisantes qu’elles soient, ces pièces révèlent un extrême raffinement d’écriture qui frôle l’austérité. Plus que divertissante, comparée à l’opéra alors naissant, c’est « une musique à penser et à réfléchir, à savourer de manière presque philosophique, comme une incursion dans les profondeurs des émotions humaines », souligne García Alarcón.

On est frappé d’emblée par l’audace de la monodie et de son accompagnement harmonique, qu’elle soit à une ou à deux voix. Certaines pièces vont à la rencontre de la tradition de la chanson populaire de la Renaissance, assurant la transition entre cette dernière et le style baroque à venir. Et ce eu égard à leur simplicité mélodique, mais aussi du fait de l’évolution vers une expression de plus en plus théâtrale, singulièrement dans les madrigaux à deux voix. La modernité du musicien s’affirme également dans les grands lamentos dont il est aussi l’auteur des textes. L’ornementation y est encore plus élaborée et la rythmique plus variée, dans le dessein d’une étroite adaptation de la ligne musicale aux paroles. On le mesure dans les deux œuvres ici proposées, l’une et l’autre à une voix. Ainsi le lamento de Didon, « Infelice Dido » est-il une composition audacieuse qui ne pâlit pas devant d’autres célèbres du répertoire, et se mesure sans fard à Monteverdi. L’entrée de la voix après une introduction lente, l’expression des divers affeti, les contrastes dramatiques, la fin dans un murmure impalpable, tout cela traduit un art consommé.

Sous la houlette avisée de Leonardo García Alarcón, la présente interprétation restitue au plus près toute l’urgence des émotions et la force née des contrastes rythmiques de la déclamation. D’abord par les voix de soprano d’une grande pureté de Mariana Flores et de Julie Roset dont on admire aussi la si étonnante symbiose dans les monodies à deux voix. Ces deux artistes, rompues à ce répertoire, offrent douceur d’émission et netteté des ornements, ajouté au naturel de la déclamation à travers tout le spectre des affeti, de l’insondable tristesse à la manière enjouée. La partie instrumentale de basse continue est confiée à un quatuor émérite constitué d’une basse de viole (Margaux Blanchard), d’une harpe baroque (Marie Bournisien), d’un théorbe ou d’une guitare baroque (Quito Gato) et d’un archiluth (Mónica Pustilnik). Avec García Alarcón au clavecin ou à l’orgue positif. La sveltesse de ces exécutions n’a d’égale que leur rigueur et bien sûr leur perfection formelle quant à la recherche du ton exact de chacune de ces monodies de lamentations et de soupirs.

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